76crimes et l’organisation « Saint-Martin et Sint-Maarten l’alliance en faveur de l’égalité » (SAFE) ont été à la rencontre 3 personnes pour explorer la thématique de l’itinérance chez les hommes noirs LGBT aux Antilles, ainsi qu’au cours de leur vie, ailleurs. Chavez (pseudonyme), le premier d’entre eux, a accepté de pouvoir lever un voile de pudeur sur son passé, ses blessures et ce qui l’a bâti.
Prêt à tout pour fuir l’homophobie de son île natale, ainsi que celle de ses proches, sa quête de liberté l’a amené à devoir beaucoup voyager, mais également à devoir prendre de nombreux risques, dans des lieux où il n’avait ni attache, ni soutien. Dans un long entretien, il livre ses souvenirs à Safe et parle de son itinérance, avec recul, aujourd’hui.

Safe et 76crimes : « Pourriez-vous nous décrire votre parcours, Chavez ».
Chavez : « J’ai 31 ans et je vis actuellement en région parisienne, mais je suis natif de Saint-Martin que j’ai quitté à plusieurs reprises, afin de pouvoir échapper à des difficultés familiales et sociales ambiantes, en lien avec les LGBTphobies, ici. Surtout durant mon adolescence.
Saint-Martin, c’est une petite île assez homophobe et durant ma jeunesse, ça a laissé des traces : difficultés à pouvoir nouer des relations amicales et intimes, société d’interconnaissance etc..
Ayant grandi dans une famille chrétienne évangéliste, ça a même empiré ma situation. J’étais le mouton noir de la famille. Je ne pouvais faire confiance en quiconque. Ça me rendait malade.
Dans ma famille ça n’allait pas, au sein de l’église ça n’allait pas, à l’école ça n’allait pas. Je broyais du noir et j’avais des pensées suicidaires. C’était vers 2008/2009. Ma mère avait honte de moi et elle m’incitait activement à aller voir ailleurs. J’avais 16/17 ans.
Néanmoins, par l’entremise d’Elie, j’ai fait la connaissance d’Aides Saint-Martin et avec de petits budgets, ils ont pu m’héberger 3 mois durant dans un établissement hôtelier, afin de m’éviter l’errance dans les rues de l’île, ma hantise.
Je me sentais vraiment malheureux et désespéré à cette époque de ma vie. Me sachant dans une situation précaire, j’avais même commencé à m’inscrire à l’armée.
Durant cette époque aussi, j’ai adopté des attitudes à risques et j’ai commencé à apprendre à coucher avec des hommes pour de l’argent. J’étais un escort-boy. Je devenais un travailleur du sexe mineur malgré moi et j’ai ainsi perdu pas mal d’amis.
Après mon passage à l’hôtel, je vivais chez des gens, mais ce n’était jamais gratuit, soit je leur donnais de l’argent en compensation, soit je donnais « mon cul ». En tout état de cause, je ne supportais plus ni l’île ni ma vie.
D’ailleurs, c’est à cette époque que j’ai commencé à toucher aux drogues et parfois j’ai été drogué à mon insu et abusé sexuellement. En tant que personne noire, pauvre, de sexe masculin, je n’allais pas déposer plainte, car la gendarmerie de l’île à cette époque ne s’intéressait qu’à des histoires de fusillade et de règlement de compte. Des amis et moi, étions culpabilisés quand on rapportait être violentés sexuellement et socialement ».
Safe et 76crimes : « Comment as-tu fait pour pouvoir te sortir de cet enfer ? »
Chavez : « Dans ce contexte, au fil des maisons et des appartements où je passais, on m’a quand même conseillé de pouvoir quitter l’île en rejoignant l’Hexagone. Finalement, c’est une rencontre à Saint-Barthélemy avec un riche américain qui va changer mon destin, alors que je travaillais dans un hôtel-restaurant sur place, à la fin de mes années de lycée.
Après deux années trépidantes à Manhattan, la fin de mon contrat et des histoires de vie m’ont amené à devoir revenir à Saint-Martin, avant de repartir vers Paris, en fin 2013.
Arrivé en France, je suis retombé dans les mêmes galères qu’étant plus jeune à devoir repartir à 0, dans un nouvel environnement. Toutefois, pour moi, je préférais cette vie mille fois plutôt que de devoir rester vivre à Saint-Martin où se trouvent mes proches.
J’ai ainsi connu la vie à 4 dans un 20m² du côté de Rouen avec d’autres antillais, tandis que j’écumais les sites de rencontre gay, à la recherche de bienfaiteurs. Mon billet de train payé en poche, je venais dans la capitale pour faire partager mes charmes à de riches amants d’un soir. En tout cas, c’est ainsi que je payais mes loyers. Ça a été une vie difficile où j’ai souvent fait la rencontre de la violence qu’elle prenne la forme de coups, du racisme ou de la jalousie maladive.
Fin 2014, j’ai une nouvelle fois cherché à pouvoir échapper à ces difficultés, en me rendant dans le sud de la France. Et là encore, j’ai connu des problèmes pour pouvoir me loger, au point d’atterrir dans un refuge d’une petite ville de l’Aveyron, où les horaires étaient stricts pour pouvoir se restaurer, entrer et sortir. A 22 ans, ça me rendait complètement dingue et il me fallait absolument sortir de ce cercle vicieux du halo du sans-abrisme.
Après bien d’autres péripéties, je me suis rapproché de Paris, car je n’ai pas le permis de conduire et je ne pouvais guère être autonome au milieu du cadre champêtre des contreforts du Massif central ».
Safe et 76crimes : « Es-tu parvenu un jour à pouvoir te stabiliser durablement dans un endroit ? »
Chavez : « Au fil du temps j’ai pu acquérir une certaine stabilité et aujourd’hui, je vis en colocation dans les Yvelines, dans un grand appartement.

Au fil des ans quand je fais le bilan, j’ai toujours réussi à trouver du positif dans le négatif. C’est peut-être ça qui m’a aidé à tenir. Mais aujourd’hui, je suis plus raisonnable dans la vie et je sais poser mes limites quand il le faut. Ma vie n’est pas super belle, certes, mais je suis content de la personne que je suis devenu en murissant. Actuellement, je suis au chômage depuis le début du mois de mars, mais néanmoins, j’ai des fréquentations plus saines que par le passé.
En ce qui concerne ma famille proche, nous avons des rapports qui demeurent distants, mais c’est aussi le fait de mon choix. La distance me protège je pense, car ma famille et moi ne sommes pas sur la même longueur d’onde d’un point de vue religieux. Cependant mes proches voient bien que je ne suis pas devenu un délinquant et ça les rassure, à mon avis ».
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