Edmide de « Femme en Action Contre la Stigmatisation et La Discrimination Sexuelle » (FACSDIS) a souhaité s’exprimer à cœur ouvert quant à l’évolution misogyne du mouvement LGBT+ haïtien, qui tend selon elle à devenir un fond de commerce, une boutique, plus qu’un espace de lutte pour pouvoir faire avancer la communauté. Dépitée et exaspérée, elle livre ses réflexions dans les colonnes de 76crimes.

Edmide : « Quand FACSDIS a été fondée en 2010, il n’y avait que la fondation Sérovie qui existait et jusqu’alors, c’était la seule organisation non gouvernementale à traiter avec les personnes LGBT+ de leurs préoccupations quotidiennes. On était dans le contexte post tremblement de terre. Et les défis à relever pour le pays étaient immenses et d’ailleurs c’est toujours le cas, plus que jamais.
Depuis, une multitude d’organisations LGBT+ ont vu le jour à travers tout le pays. D’abord cela a semblé faire sens, car après le tremblement de terre de janvier 2010, les personnes LGBT+ ont été tenues pour responsable de cette tragédie et les discriminations étaient nombreuses.
« Des organisations LGBT+ se créent par opportunisme »
Ainsi, Kouraj a émergé en 2011 avec Charlot Jeudy, ainsi que d’autres organisations situées en province qui venaient apporter un maillage complémentaire. Je pense notamment à Gran Lakou Fòlklorik à Jacmel ou aux organisations situées aux Cayes ou à Saint-Marc, par exemple.
Toutefois, depuis la mort de Charlot Jeudy, j’observe que des organisations LGBT+ se créent par opportunisme, la misère aidant. Il doit y en avoir peut-être même une trentaine dans le pays à présent, sans que cela ne se matérialise par des améliorations substantielles pour les communautés, alors que les organisations « historiques » déjà existantes, gagneraient, elles, à être renforcées.
Or, on assiste hélas à un émiettement du tissu associatif LGBT+ qui se fait au détriment des femmes, car le plus souvent ces nouvelles organisations sont portées par des hommes cisgenres gays et leurs revendications si tant est qu’ils en aient ne nous incluent pas. Nous les femmes, avons l’impression d’être la cinquième roue du carrosse et de rester les éternels parents pauvres du milieu LGBT+.
« Il y a un effondrement de l’activité de plaidoyer »
Ce qui m’inquiète le plus derrière ces vrais faux défenseurs des droits humains, c’est que l’on assiste parallèlement à un véritable effondrement de l’activité de plaidoyer en Haïti, en faveur des personnes LGBT+ et l’on a l’impression d’assister à une véritable régression comme si nous revenions plus de dix ans en arrière.
Pour préciser ma pensée, j’observe aujourd’hui que presque toute l’activité de plaidoyer touche à des questions de santé en lien avec le VIH, alors que les questions de violences basées sur le genre à l’égard des femmes restent orphelines et ne trouvent plus de traduction en termes d’axe de priorité d’action. Cela me sidère.
Avec le recul, le départ de Marjorie Lafontant vers les États-Unis ainsi que l’assassinat de Charlot Jeudy nous ont été très préjudiciables. Avant il y avait une plus grande activité de communication avec les journalistes et notre pays était davantage inséré dans les activités LGBT+ internationales.
« Il n’y a pas d’ambition contre les violences faites aux femmes »
Aujourd’hui, l’activité de plaidoyer en Haïti est réduite à la portion congrue et il n’y a pas la moindre ambition qui s’exprime à l’échelle nationale contre les violences faites aux femmes. Il y a bien une « safehouse » dans l’agglomération de Port-au-Prince pour prendre en charge les femmes battues, mais le travail à faire reste encore immense.
Souvent, après plusieurs semaines, ces femmes sont obligées de revenir dans les quartiers qu’elles ont fui, au milieu de la misère et de la violence des gangs. Pourtant, la première des libertés devrait être la sécurité ».
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