Amériques

Richecarde Val : « Marié à une femme trans, on me prend tout le temps pour un homme gay »

Suite à l’interview de sa femme Yaisah, Richecarde partage avec nous son expérience en tant que personne hétérosexuelle cisgenre, dont l’orientation amoureuse est toujours questionnée avec énormément de suspicion et d’incompréhension.

Richecarde (à gauche) et Yaisah (à droite) forment un couple délicieux et marié depuis 2016.
Richecarde Val est un défenseur des droits des personnes transgenres en Haïti

76crimes : « Peux-tu nous parler un peu de toi ?»

R.V. : « Je m’appelle Richecarde Val et j’ai 30 ans, je suis haïtien. Je suis chargé de développement au sein de l’organisation « Action communautaire pour l’intégration des femmes vulnérables en Haïti » (ACIFVH) et je suis marié à une femme trans que vous connaissez bien, Yaisah. Actuellement, je vis à Port-au-Prince et non aux Etats-Unis ».

76crimes : « Comment as-tu été confronté à la transidentité ?»

R.V. : « Je vivais avec Yaisah depuis plusieurs mois, quand en 2016, nous avons décidé de nous marier. C’est une décision qui a été mûrement réfléchie et cela n’a pas été le produit d’un accident. Ce mariage nous l’avons voulu.

« Pour ma famille, mon mariage avec Yaisah a été vécu comme un enterrement », dixit Richecarde Val

Quelques jours avant la cérémonie de mariage en Haïti, Yaisah m’a dit qu’elle est transgenre. Au début, je n’ai pas vraiment compris ce dont elle me parlait, alors j’ai eu besoin de m’informer. Dans la société, l’on n’est pas préparé à cela, mais je me devais de comprendre ce qu’est la transidentité, car Yaisah est la femme que j’aime.

Par la suite à deux, l’on a fondé ACIFVH pour permettre aux personnes trans d’avoir des personnes concernées parlant en leur nom, ici ».

76crimes : « Comment ta famille a reçu la nouvelle de ce mariage ? »

R.V. : « J’ai grandi avec un père pasteur et durant toute mon enfance, j’ai fréquenté une école chrétienne. Quand j’ai fait part du coming-out de ma compagne et de mon souhait de poursuivre cette relation, mon entourage bouleversé et choqué m’a immédiatement sommé de quitter l’église familiale et de ne plus remettre les pieds dans la ville où résident mes parents. Toute ma famille pense d’ailleurs que je suis gay.

« Bien que je ne sois pas moi-même gay, je suis victime d’homophobie », dixit Richecarde Val

Depuis 2 ans, j’ai repris contact furtivement avec mon père, mais l’on ne communique que par e-mail ou par téléphone et j’ai toujours interdiction de le voir. Me côtoyer l’exposerait à une perte de réputation. Bien que je ne sois pas moi-même gay, je suis victime d’homophobie ».

76crimes : « Et comment réagit ta belle-famille ? »

R.V. : « Ma belle-famille fait le strict minimum. Elle nous tolère, mais dans l’ensemble ils refusent d’associer leurs vies à la nôtre. Ça demeure très hypocrite et ça reste assez superficiel. D’ailleurs, il s’agit d’une relation à sens unique. Ils viennent chez nous, mais eux, ils ne nous invitent jamais. De temps en temps, les gens de ma belle-famille nous appellent pour savoir si nous sommes toujours en vie. Après, ça ne va pas plus loin ».

76crimes : « Est-ce que tu as des amis ?»

R.V. : « Depuis que je vis en couple avec ma femme qui est transgenre, mes amis d’enfance ont coupé les ponts avec moi. Quant aux hommes hétérosexuels, ils n’osent pas vraiment s’approcher de moi, car ils pensent que je suis gay.

Logo d’ACIFVH

« Don’t try to pretend to be a man* » (n’essaie pas de faire croire que t’es un mec), rétorque t-on souvent à Richecarde

En revanche, les hommes gays essaient très souvent de me séduire, car ils me perçoivent comme l’un des leurs. Aussi, leur argument consiste à me dire que ma femme est un homme et que par conséquent, je suis homosexuel, ce qui est extrêmement dérangeant.

Si les gens comprennent que je suis cisgenre, à chaque fois je dois expliquer et justifier mon hétérosexualité. En définitive, on me prend tout le temps pour un gay qui ne s’assume pas.

Le tableau peut sembler sombre, mais néanmoins je suis très heureux dans la vie, car j’ai de magnifiques enfants ».

76crimes : « Comment tes enfants vivent-ils cette situation? »

R.V. : « Yaisah a eu 2 enfants biologiques de son côté qui ont 23 et 20 ans. Aujourd’hui, ils vivent en République Dominicaine. Il s’agit d’un garçon pour l’aîné et d’une fille. On a également adopté un garçon qui a maintenant 5 ans et qui vit avec moi et dernièrement, j’ai eu un enfant biologique qui vit ici. C’est une petite fille.

« On essaie de protéger notre fils le plus jeune », dixit Richecarde Val

Pour les enfants les plus grands, il n’y a pas de problème et ils poursuivent leur vie d’adulte, en tant qu’étudiants. Pour les plus jeunes enfants et notamment celui qui a 5 ans, on essaie de le protéger. Il va dans une école internationale, à Port-au-Prince, mais quand il y a des réunions avec les parents, je préfère déléguer cette mission à la mère de Yaisah.

Au quotidien, je subis des insultes et des quolibets dans la rue, car je suis une personnalité publique, mais je ne tiens pas à faire endurer cela à mes progénitures. Quant à ma femme, elle est retournée vivre à Miami il y a plusieurs mois, en raison des conditions de sécurité qui se sont détériorées en Haïti.

A la maison, nonobstant la situation du pays, j’éveille déjà mon fils adoptif aux questions relatives à la diversité sexuelle et à l’identité de genre, afin de ne pas le laisser ignorant vis à vis de ses propres parents ».

76crimes : « Comment fais-tu pour préserver ta santé mentale? »

R.V. : « Je travaille beaucoup et de temps en temps je quitte Haïti, pour pouvoir me changer les idées ».

* en anglais dans l’interview originale

Articles précédents portant sur la transidentité dans les Caraïbes :

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