Yaisah Val est une figure pionnière de la visibilité des personnes transgenres en Haïti et elle est aussi une figure pionnière de la transparentalité dans les Caraïbes. Femme mariée, mère chrétienne de 2 enfants, grand-mère comblée et militante transgenre aux valeurs traditionnelles, c’est une femme au parcours complexe qui nous livre son témoignage, entre la Floride où elle réside et le pays de ses parents, Haïti.
76crimes : « Pouvez retracer votre parcours, s’il vous plaît ? »
Yaisah : « Je suis né aux États-Unis de parents haïtiens et étant jeune, je fréquentais assidûment une congrégation adventiste. Dès l’âge de 4 ans, j’ai compris que j’étais une fille et j’étais tout le temps en décalage avec les normes de genre dominantes. La pression sociale était très forte autour de moi et j’ai abandonné l’Église vers 14 ans.
Je suis restée vierge jusqu’à mes 25 ans et j’ai entamé ma transition à l’âge de 28 ans quand mon premier enfant était en bas âge. Aujourd’hui, mon fils biologique a 22 ans et il vit en République Dominicaine. Plus tard, j’ai eu une fille qui a maintenant 20 ans, on peut l’appeler Carina (pseudonyme).
C’est véritablement quand je suis devenu parent que j’ai éprouvé le besoin de retrouver un apaisement vis à vis de la religion. Néanmoins, j’ai dû quitter le mouvement adventiste, parce que la transidentité et l’homosexualité sont perçues indistinctement comme étant la même chose. Étant devenu une femme cisgenre hétérosexuelle, je ne m’attendais pas à ce type de réaction. Je m’attendais à plus d’empathie chrétienne.
Par la suite, j’ai eu une vie hétéronormative et j’ai offert une éducation chrétienne à mes enfants, mais c’était une vie faite de trop nombreux mensonges. Qui plus est, j’étais marié à un pasteur évangéliste.
Par exemple, pour cacher ma transidentité, je devais faire semblant d’avoir mes règles chaque mois en faisant fondre de la viande qui était au congélateur, sur une serviette hygiénique.
Finalement, je n’étais pas heureuse de cette vie, car à force de mentir, je voyais bien que j’étais isolée. Je devais mentir à mon mari, mais aussi à mes enfants, tandis que j’entendais bien les propos homophobes et transphobes de mon entourage social.
J’étais devenue une imposture et cela ne pouvait pas durer non plus. C’est à ce moment là que j’ai compris que le mensonge ne protégeait pas de la transphobie ambiante. Cependant mentir m’a permis de ne pas être exposée à des formes d’agressions physiques violentes dans l’espace public.
Plus tard dans ma vie, j’ai eu un autre époux avec qui je vis toujours. Dans mon existence, j’ai souvent répété certains schémas, mais cette fois-ci, 3 jours avant notre mariage, je lui ai annoncé mon coming-out trans. Mon mari est fils de pasteur, donc il a été un peu troublé, mais l’on s’est marié quand même.
Avant de lui annoncer ma transidentité, j’ai pris mon courage à deux mains pour pouvoir faire mon coming-out auprès de mes enfants, c’était en 2017. Mon fils aîné avait 17 ans et demi et Carina 14 ans.
Actuellement, je ne suis active dans aucune église. Mon parcours est trop incompris. Dans les églises inclusives, mes positionnements peuvent parfois sembler plus conservateurs, notamment concernant les questions de transition médicale chez les enfants.
Je me définis comme une femme trans binaire et j’estime que je peux avoir des valeurs familiales et traditionnelles, tout en étant trans et chrétienne. Mon appartenance à la communauté trans n’est pas un tout et ce n’est qu’une partie d’une identité plus complexe ».
76crimes : « En Haïti, on vous a vu souvent prendre position sur les questions de transidentité, qu’en a t-il été de votre ressenti quand vous étiez là-bas ?
Yaisah : « En Haïti, on me juge sur mon apparence avant tout. On me voit comme une femme cisgenre et donc je passe pour tel. Si j’avais été une femme avec une expression de genre plus masculine, on m’aurait perçu comme une lesbienne.
Dans l’ensemble les gens là bas associent le mot « trans » avec l’homosexualité, donc pour eux, c’est un peu une autre forme d’homosexualité, mais tout cela reste très confus.
Ici en Floride, la transidentité est un sujet qui fait beaucoup parler, mais cela ne signifie pas qu’elle soit mieux comprise aux Etats-Unis ».
76crimes : « Vous avez dernièrement participé à un webinaire organisé par le Global Interfaith Network (GIN), quel était votre objectif ? »
Yaisah : « Je cherche à établir un pont entre les leaders religieux et les communautés transgenres, car trop souvent, l’on nous fait comprendre que l’on ne peut être trans et être une personne de foi et de spiritualité, en même temps. Cela me heurte, cela me blesse et cela me gêne énormément, car l’on ne fait pas le choix de son identité de genre. C’est quelque chose qui s’impose à soi dès la prime enfance.
Aujourd’hui, souvent, je cherche à retourner à l’Église, mais j’ai peur d’être perçue avec commisération en passant pour la pauvre égarée ou la pécheresse perdue.
En s’engageant auprès de GIN, j’ai envie de réconcilier des appartenances que la société à parfois loisir de fragmenter.
Lors des webinaires auxquels j’assiste, je trouve que la dimension civile et sociale empiète sur le questionnement spirituel et religieux et j’aurais aimé que davantage de prêtres, de pasteurs, de pandits ou d’imams issus des Caraïbes, prennent part aux débats.
Clairement, le webinaire n’est pas l’outil pour pouvoir réparer des blessures et c’est cela qui m’a le plus manqué ».
76crimes : « Cette année, le webinaire portait sur les familles ? Qu’est-ce que cela a apporté de nouveau pour vous ? »
Yaisah : « J’ai déjà fait l’autopsie, au sein de la communauté LGBTI+ d’une auto-homophobie et d’une auto-transphobie qui font que l’on se met des barrières et que l’on s’empêche de se penser en tant que parents, responsables légaux ou futurs chef.fes de familles.
Si ce webinaire peut contribuer à pouvoir élargir le champ des possibles, j’espère que mon témoignage a pu apporter un certain éclairage ».
76crimes : « Le Caribbean Interfaith Network (CARIN) organise une réunion physique cette année ? Qu’est-ce que tu en attends ?«
Yaisah : Le format des webinaires a pour moi montré ses limites. J’attends d’une réunion physique à venir, plus de recentrage sur les questions de spiritualité. Les droits, les lois et les plaidoyers, ça suffit. Il nous faut des leaders d’églises qui viennent pour pouvoir crever l’abcès, en instaurant un véritable dialogue où tout le monde puisse s’exprimer sans acrimonie.
Je ne cherche pas tant à dialoguer avec des alliés, qu’avec des personnes qui ont de l’influence sur le corps social. Il faut mettre fin aux bulles, une bonne fois pour toute, ce n’est que mon humble avis. On doit vivre avec le monde qui nous entoure et non vivre dans un monde entre gens qui pensent la même chose.
Articles précédents portant sur d’autres portraits de personnes de foi et de spiritualité, issues des Caraïbes :
- Guyana : « un jour, je serai le 1er président gay du Guyana ! », 4 janvier 2023, 76crimesFR.com
- Jamaïque / Canada : portrait d’exil avec Dieudonné Marrero (Caribbean Interfaith Network), 2 janvier 2023, 76crimesFR.com
Autre interview de Yaisah Val :
- Haïti : un futur chaque jour plus incertain pour les personnes transidentitaires, 7 février 2021, 76crimesFR.com
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