Dominique Rebel Saint-Vil est le directeur général de l’organisation trans d’Haïti (OTRAH). Il tient à réagir suite aux récents échanges ayant eu lieu quant aux orientations du Comité National de Plaidoyer des Populations-clés en Haïti (CNPPCH). Homme transgenre, Dominique pointe le rôle prépondérant du patriarcat* dans un mouvement LGBTI+ haïtien en construction, avec pour toile de fond, un pays à feu et à sang.
Un Comité National de Plaidoyer très masculin.
« Je profite des deux dernières interviews qui ont porté sur le plaidoyer en Haïti, pour pouvoir prendre la parole à mon tour, là où on me la donne, afin que l’on prenne un peu de recul dans cette conversation.
Le Comité National de Plaidoyer des Populations-clés en Haïti s’intéresse avant tout à des thématiques sanitaires centrées sur le VIH sida, car la terminologie même de cette institution relève de la santé publique, quand l’on parle de « populations clés ». Il y a une référence explicite au champ sémantique de l’épidémiologie statistique qui est une discipline médicale.
Le Comité National de Plaidoyer des Populations-clés n’est dirigé actuellement que par des « mâles » ou presque et il gagnerait à être plus représentatif s’il veut se donner l’ambition de pouvoir devenir intersectionnel. Au delà de mon pays, Haïti, le combat pour la place et l’inclusion des communautés bis, lesbiennes, intersexes et même trans est un enjeu universel, au sein des communautés LGBTI+ dans le monde.
Défaut d’inclusion politique et défaut d’inclusion des préoccupations sociales.
En effet, il est toujours un amer constat que de voir que les lesbiennes soient très peu représentées là où elles pourraient incarner un leadership. Et hélas, l’on observe que les questions d’orientation sexuelle l’emportent sur les problématiques de violences, basées sur le genre. Bien trop souvent les hommes trans ainsi que les femmes cisgenres et bis sont très invisibilisés.
Cependant, il est encore temps d’agir pour éviter que le mouvement politique LGBTI+ ne finisse par s’éteindre sur lui même, nonobstant le soutien qu’il reçoit de l’extérieur. Ce que je déplore c’est que lorsqu’il y a des viols, des kidnappings et que le pays est mis à sac, l’on n’en parle pas. Le comité de plaidoyer ne sort du guet que lorsqu’il s’agit de discriminations touchant les populations LGBTI+, alors que l’on n’est pas les seuls à être stigmatisés, ni les seuls à souffrir et à subir la violence ici. Le reste de la population vit très mal le fait que l’on reste en retrait des autres problèmes du pays, comme si cela ne nous affectait pas.
Pourtant au quotidien, dans le cadre des activités d’OTRAH, je ne rencontre que de jeunes trans dépourvu.es de diplômes, qui n’ont pas de métier et qui sont contraint.es de vivres d’expédients dans la rue, parfois au péril de leur vie. Quand on parle de disparitions en Haïti, il s’agit des personnes qui sont les plus vulnérables, car nombre d’entre elles sont des travailleuses du sexe. Toutefois, leurs voix manquent à l’appel quand il s’agit de construire un plaidoyer. C’est pour cela que je dis que le mouvement LGBTI+ haïtien est en construction. Il nous advient de corriger cela dans les mois à venir.
La persistance du patriarcat dont le patriarcat des femmes transgenres.
Enfin, je pointe le rôle du patriarcat dans l’invisibilisation des communautés lesbiennes, bis et intersexes. Par exemple, je connais très peu d’hommes qui oseraient s’aventurer à se dire bisexuels, ils auraient trop de privilèges sociaux et symboliques à perdre, alors ils préfèrent entretenir le déni autour de cette question.
De toute façon, on a tous intériorisé à un moment ou un autre le patriarcat. Pour moi l’exemple le plus flagrant est celui de nombre de femmes transgenres. Ce sont des mâles biologiques qui ont reçu une éducation allant de pair durant leur enfance, avant leur transition sociale. Après leur transition cependant, le patriarcat ne s’estompe pas pour autant.
Aussi, en tant qu’homme trans, quand je me dirige vers une femme cisgenre pour pouvoir la courtiser, elle me reconnaît en tant qu’homme, alors qu’à situation analogue, une femme trans me rétorquera presque toujours que je ne suis pas un vrai mec. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’existe pas de couple trans à ma connaissance en Haïti, en raison d’un rejet patriarcal très fort chez les femmes transgenres. Même pour les hommes cisgenres, il y a énormément de réticence à nous inclure dans la gente masculine. Or, on ne retrouve pas l’inverse chez les hommes trans.
Si l’on veut vivre en démocratie en Haïti, l’on doit déjà commencer par nos propres communautés, nous-mêmes, si l’on veut que les choses changent dans le bon sens ».
*patriarcat : relations sociales fondées sur l’autorité implicite des mâles
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