Amériques

« Le milieu LGBT+ militant me fait honte en Haïti ! »

Djennifer Mercer incarne une nouvelle génération de femmes dans un milieu politique et militant encore dominé par les « mâles ». (Photo issue du compte Facebook personnel)

Dernièrement dans les colonnes de 76crimes se sont successivement des personnes lesbienne, hétérosexuel, gay ou trans, originaires d’Haïti, qui ont pris la parole.

Aujourd’hui, Djennifer Mercer qui est une activiste de terrain tient à réagir en son nom, en tant que femme lesbienne, pour faire part, elle aussi, de son analyse quant aux dynamiques à l’oeuvre dans le milieu LGBT+ militant en Haïti.

Aussi en tant que femme vivant en Haïti, elle tient à inscrire son témoignage dans une totale sororité envers Edmide Joseph de l’organisation FACSDIS*, après qu’elle a été pris à partie par de nombreux « mâles » pour s’être livrée à coeur ouvert sur 76crimes.

A sa façon, elle illustre le rôle croissant des femmes qui sont en première ligne en tant que lanceuse d’alerte, face à des dysfonctionnements qu’elles observent.

76crimes étant de plus en plus sollicité par des femmes en la matière, face à l’afflux et à l’abondance de témoignages, d’autres articles allant en ce sens seront publiés dans les semaines à venir.

Les territoires concernées seront aussi bien caribéens qu’africains d’ailleurs (Cameroun, Burkina-Faso, Sénégal…), à mesure que les femmes prennent conscience du rôle des médias pour pouvoir faire entendre des voix qui peinent à être écoutées sur place.

Djennifer Mercer (Photo issue du compte Facebook personnel)

Djennifer Mercer : « J’aimerais surtout donner mon avis, concernant l’absence d’opportunité et de voix, pour les femmes lesbiennes ainsi que les bisexuelles cisgenres ou encore les hommes trans.

Je suis une femme féministe intersectionnelle et j’observe que la plupart des projets qui sont déployés en Haïti, au service de la communauté LGBT+, le sont au profit des hommes cisgenres ou des femmes trans, c’est à dire des mâles biologiques et ce au détriment d’autres membres de la communauté LGBT+ qui sont les éternels laisser pour compte.

Or, les femmes n’ont pas vocation à être la dernière roue du carrosse au niveau politique. Il y a un vrai inconfort à ce sujet.

« Ne parler que du VIH devient une aliénation »

Comme le disait Edmide, dont moult « mâles » n’ont dit que pis que pendre, la plupart des projets à l’attention de la communauté LGBT+ en Haïti portent sur le VIH et ciblent les HARSAH**, ainsi que les femmes trans en général.

L’immensissime majorité des femmes sont sinon soit ignorées soit négligées.

Les projets de droits humains pour les femmes cisgenres bisexuelles et les lesbiennes ou les hommes trans passent en perte et profit. On entend parler du VIH, comme si ce n’était que ça la lutte, en faveur des personnes LGBT+ en Haïti. Ca en devient même aliénant ».

76crimes : « Quels types de projet appelez-vous de vos voeux, en tant que femme ? »

Djennifer Mercer : « Pour pouvoir impulser des projets en faveur des femmes, il faut déjà au niveau politique que l’on fasse place aux femmes. Ça n’aurait pas grand sens que des projets à destinations des femmes soient dirigées et pilotées presque exclusivement par des mâles, telle une nouvelle forme de « mansplaining ».

Concernant les projets, il faut déjà comprendre que dans une société patriarcale et machiste comme Haïti, les femmes vont souvent là où on leur intime d’aller, d’autant plus quand elles sont pauvres et jeunes.

Par exemple, beaucoup de jeunes filles bisexuelles ou lesbiennes se mettent en couple avec des hommes, tout simplement parce qu’elles n’ont aucune information sur leur propre orientation sexuelle. Et c’est n’est pas avec un mouvement LGBT+ qui ne s’adresse qu’à des mâles que cela puisse changer.

Il faudrait davantage de programmes de prise en charge pour les jeunes femmes et les jeunes filles. Après cela reste à définir dans le cadre d’une démarche communautaire. Je n’ai pas de réponse toute faite à fournir.

Aussi, dans un cadre plus large et ambitieux, en Haïti l’on a besoin d’être formés aux instruments juridiques internationaux, de sorte à savoir quels sont les conventions et les textes internationaux que le gouvernement haïtien a déjà signé et ratifié.

On a besoin de connaître quelles recommandations ont déjà été adressées à Haïti lors de l’examen périodique du Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, afin de pouvoir progresser sur le terrain du droit, face à notre gouvernement ».

Djennifer a une appétence pour les projets de plaidoyer (Photo issue du compte Facebook personnel)

76crimes : « La dernière fois Edmide évoquait également le nombre croissant d’organisations qui se créent, est-ce que cela vous fait réagir aussi ? »

Djennifer Mercer : « Pour un petit pays comme le nôtre, avec plus de 30 organisations LGBT+ et de nouvelles associations qui se créent chaque mois, cela me laisse profondément perplexe.

L’on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion quant aux motivations réelles de ces nouveaux responsables associatifs, alors on s’interroge.

Se battre pour une lutte implique une démarche collective, or l’on assiste à des entreprises entrepreneuriales qui ne disent pas leur nom, dans un pays terriblement rongé par la pauvreté.

Pour moi, la démarche communautaire, ce n’est pas cela et je trouve cela fortement préjudiciable dans un pays où les personnes LGBT+ sont déjà considérablement marginalisées.

L’on devrait réglementer la création d’association et d’organisation, car tout cela devient un peu anarchique et n’importe qui peut s’improviser du jour au lendemain activiste.

Il faudrait à cet effet de vrais formations pour pouvoir expliquer aux gens ce qu’est l’activisme, parce que sinon l’activisme et le militantisme deviendront des fonds de commerce.

Le déclic pour moi a été ma présence lors d’une formation en « premiers secours psychologiques », lorsque j’ai entendu un mâle culpabiliser les femmes victimes de viols le soir, en s’interrogeant quant à leur présence dans l’espace public au crépuscule.

« Le milieu LGBT+ en Haïti a besoin d’un audit d’urgence »

Aussi quand j’ai entendu ce leader associatif dire que la jouissance d’une femme durant un viol démontre qu’il n’en s’agit pas d’un, j’étais vraiment estomaquée. Mais à ce moment là néanmoins, j’ai pu opérer une vraie prise de recul vis à vis du milieu LGBT+ militant de mon pays.

Pendant ce temps, autour de moi, j’entendais tous ces mâles glousser et ricaner bêtement. En tant que femme, j’étais transie de honte.

Mais les exemples sont légions, je repense par exemple à tout ce « discours religieux du genre » qui consiste à dire que si tu es une lesbienne, ça va passer avec le temps si tu pries et ainsi de suite. On frôle la thérapie de conversion.

Il y a des gens qui peuvent passer 10 ans / 15 ans dans le militantisme LGBT+ en Haïti, être responsables d’organisations, sans même être en mesure de pouvoir expliquer ce qu’est la bisexualité. Moi je trouve ça grave.

C’est comme si au lieu d’aider les gens, on les détruisait, en les plongeant encore plus dans la détresse.

Donc pour moi au lieu de créer de nouvelles associations, les gens au sein du milieu LGBT+ feraient mieux de se livrer à une saine introspection, car la quantité est loin de faire la qualité.

Aujourd’hui, les gens créent des organisations dans l’espoir d’être récipiendaires de fonds de bailleurs internationaux et c’est pour cela qu’un audit global des associations qui allèguent venir en aide au public LGBT+ est indispensable.

Cet audit devrait être assorti de réformes profondes et d’une refonte complète du milieu LGBT+ activiste en Haïti, sans quoi l’on ne s’en sortira pas, car le ver est dans le fruit.

Sans changement à court terme, je songe même à délaisser la lutte LGBT+ pour ne me consacrer qu’au féminisme.

Même les personnes qui sont extérieures à la communauté LGBT+ ressentent une gêne, quant à notre leadership, c’est dire si le mal est profond. Les gens ne sont pas dupes ».

76crimes : « Est-ce que ce n’est pas là, la conséquence de l’isolement des activistes haïtiens qui ont du mal à pouvoir voyager pour se former au leadership tel qu’il se conduit ailleurs ? Puis quid de la responsabilité des bailleurs internationaux ? »

Djennifer Mercer : « Les bailleurs, on les voit à la clôture des projets, mais au jour le jour, ils ne voient pas la militance telle qu’elle se mène en Haïti.

Du moment qu’ils puissent faire confiance à une organisation, ils pensent faire le bien. Ils ne sont pas au courant de tous les soucis au quotidien, auxquelles les femmes cisgenres, ainsi que les hommes trans sont confrontés.

« L’omerta sert les hommes et fait reculer les femmes »

D’autres personnes que moi font le même constat qu’Edmide, mais préfèrent entretenir l’omerta pour ne pas s’attirer les foudres des mâles.

Ils parlent des problèmes de la communauté à bas bruit en privé, plutôt que de laver leurs linges sales en public, mais en attendant, ce n’est pas une stratégie payante pour les femmes pour qui rien de change.

L’omerta a toujours été une solution perdante pour les femmes, on n’a plus rien à gagner à ce jeu là.

Même moi, j’ai souvent évité de dénoncer des individus auprès des bailleurs internationaux et se faisant, en faisant de la rétention d’informations, je n’ai pas permis l’émergence de solutions où des acteurs externes auraient pu nous aider.

Radieuse et souriante, Djennifer est une femme au caractère bien trempé qui dit ce qu’elle pense (Photo issue du compte Facebook personnel)

Concernant les voyages à l’étranger, c’est vrai que pour nous, haïtiens, c’est plus difficile que pour les ressortissants d’autres pays et je n’ai jamais pu quitter mon pays, même pour me rendre à Saint-Domingue. Cela fait un grand mal à la communauté.

On nous demande souvent deux ou trois visas, si l’on souhaite pouvoir rejoindre une destination finale dans un pays un temps soit peu éloigné.

Cependant, je vais appuyer là où ça fait mal, car pour beaucoup, l’on devient précisément activiste pour pouvoir partir et quitter le pays et non pour pouvoir continuer à défendre durablement les droits humains ici.

Après si l’on souhaite se former, il y a de nombreuses ressources en ligne sur internet, mais chez certains qui militent depuis très longtemps, il n’y a pas cette volonté et ils restent sur ce qu’ils pensent être des acquis ».

FACSDIS* : Femme en Action Contre la Stigmatisation et La Discrimination Sexuelle

HARSAH** : Homme ayant des rapports sexuels avec les hommes

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