L’actualité a beaucoup mis en avant l’île de Mayotte, ces derniers temps, autour des problèmes liés à la gestion migratoire (opération « Wuambushu»). Il s’agit d’une île sous juridiction française de l’Océan Indien qui est devenue le 101ème département français en 2011, à la demande de sa population qui n’a pas souhaité rejoindre l’Union des Comores en 1975.
Île française, île musulmane, île africaine du Canal du Mozambique, Mayotte voit s’appliquer le mariage pour tous comme le reste du territoire français et constitue à ce titre une exception dans le monde islamique et africain. Bruno Agar qui enseigne au centre universitaire de Mayotte nous retrace le parcours semé d’embuches de son mariage, avec son compagnon malgache, Abdallah Hussein (pseudonyme).

76crimes : « Bruno, peux-tu nous parler de ton mariage avec ton compagnon, récemment à Mayotte, île en pleine ébullition dans le contexte très tendu de l’opération Wuambushu (reprise en shimaoré, langue vernaculaire de Mayotte) ? »
Bruno Agar : « Concernant mon mariage, il a été long et compliqué, mais il illustre la complexité de l’application des lois françaises, dans un autre contexte social et anthropologique que l’Europe, à l’instar des autres territoires d’outre-mer. Or l’appartenance à la communauté nationale française implique pourtant des droits et des devoirs. Le combat de mon couple pour pouvoir se marier prouve le long chemin vers l’égalité qu’il reste encore à parcourir à Mayotte aujourd’hui, dans tous les domaines.
Initialement avec Abdallah, on voulait pouvoir se marier en septembre et dès le mois d’août 2022, on avait déjà déposé tous les documents en mairie, mais on s’est heurté à une résistance sourde et passive des services de l’état-civil de la mairie de Sada. Finalement notre mariage n’a pu se concrétiser qu’en mars dernier. Néanmoins, nous sommes extrêmement soulagés et heureux.
Quand on a déposé notre demande, on a constitué le dossier idoine et aucun autre document administratif ne nous a été demandé. Toutefois, l’on ne nous a remis aucune preuve de dépôt du dossier de mariage.
Ensuite, c’est l’attestation d’hébergement de mon compagnon qui a été refusée de façon discrétionnaire, pourtant, nous vivons bel et bien ensemble depuis plusieurs mois. La mairie de Sada n’a pas le droit de faire cela, c’est totalement illégal.
Aussi, on a exigé de nous que nous montrions des factures au nom de mon futur conjoint, mais pour la facture d’eau, c’est le propriétaire qui la reçoit, tandis que pour la ligne de téléphonie fixe, il n’accepte qu’un seul titulaire de ligne téléphonique. Enfin, avec Électricité de Mayotte, l’on ne nous a jamais donné signe.
Dans ce contexte, l’on a été obligé de multiplier les recours, d’abord auprès du défenseur des droits sur place, ensuite l’on s’est fait assisté de notre propre avocat qui connait les subtilités de la vie locale et enfin, l’on a opéré un signalement auprès de SOS Homophobie. Nous avons également saisi le procureur de la République de notre dossier.
Il apparaît clairement que les entorses administratives des services de la municipalité de Sada sont motivées par l’homophobie. Il s’agit d’une violence silencieuse et pernicieuse, mais il s’agit d’une discrimination quand même.
Nous avons essayé le dialogue à travers des courriers en recommandé auprès du maire ou nous avons souhaité pouvoir nous entretenir avec l’adjoint au maire en charge des questions d’état-civil, mais à chaque fois nous n’avons obtenu aucune réponse et nous nous sommes heurtés au silence.
En outre-mer, il faut constamment jongler entre les lois françaises et européennes et l’application du droit sur place, en regard aussi des mentalités et des coutumes. D’ailleurs, Mayotte est une île presque exclusivement musulmane, avec des mosquées dans chaque village.
Le jour J, l’adjoint au maire en charge de l’état civil n’est pas venu célébrer notre union et nous l’avons attendu une quarantaine de minutes, en vain. Finalement une autre adjointe s’est présentée et a daigné nous marier, en précisant qu’elle était dans l’obligation de le faire et qu’elle n’avait d’autre choix. Elle a appelé mon compagnon « mademoiselle», en spécifiant que c’était écrit ainsi dans les documents officiels».
76crimes : « Qu’est-ce qui a changé pour Abdallah Hussein et toi, depuis que vous êtes mariés ? »
Bruno Agar : « Abdallah Hussein est reconnu comme réfugié par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). En théorie il peut travailler, mais en pratique, tant qu’il ne reçoit pas une carte de séjour, ses droits restent virtuels. Pour l’assurance maladie, c’est pareil, il va devoir attendre avant de recevoir une carte d’assuré social. Ça prend toujours du temps avec les administrations et encore plus en outre-mer où les politiques publiques prennent plus de temps à se déployer face aux spécificités historiques, économiques, politiques et sociales de chacun des territoires.
C’est un peu paradoxal, car avec mon compagnon on aurait pu attendre quelques mois de plus pour pouvoir se marier l’an prochain dans l’Hexagone, mais on a préféré le faire à Mayotte.
On ne peut pas ignorer que même si l’on vit dans un territoire sous juridiction française, il n’y a aucune association LGBT+ ici, ni même le moindre lieu de socialisation pour les personnes gays et lesbiennes. Je m’interroge même quant au nombre de mariages entre personnes du même sexe qui ont pu être célébrés ici ?»
76crimes : « Vous avez beaucoup parlé des spécificités sociales et culturelles de Mayotte. Dans ce contexte, qu’est-ce qu’évoque pour vous l’opération Wuambushu, d’expulsion de plusieurs milliers d’immigrants clandestins vivant dans des bidonvilles insalubres ? »
Bruno Agar : « Il faut vivre avec les réalités de sa géographie et Mayotte est située dans le Canal du Mozambique, au milieu d’états paupérisés : Madagascar, Comores. Les immigrants illégaux qui viennent de l’île comorienne voisine d’Anjouan, peuvent revenir à Mayotte facilement, même après avoir fait l’objet de mesures d’éloignement, de la part des autorités.
Aussi, la géographie de la région implique une histoire entre ces îles de l’Océan Indien que la départementalisation française de Mayotte ne peut effacer. La vie du territoire s’inscrit nécessairement dans un temps long ».
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