Dieudonné Marrero (pseudonyme) est un activiste jamaïcain qui vit aujourd’hui au Canada. Militant contre les sérophobies et le SIDA et activiste contre les homophobies ; c’est aujourd’hui en sa qualité de pasteur et d’infirmier au Canada, qu’il relate ses réflexions au prisme de sa foi, quant à son passé, ses espoirs, son île, ainsi que les blessures de la société.
76crimes : « Parle-nous de toi, Dieudonné ».
Dieudonné Marrero : « Je m’appelle Dieudonné et je suis un ancien travailleur social jamaïcain de 30 ans, originaire de Montego Bay, sur la côte nord de la Jamaïque, au large de Cuba.
Durant 10 ans, de 2010 à 2020, j’ai effectué ma profession avec une relative aisance et de nombreux moments de bonheur au côté de personnes vivant avec le VIH ou de travailleuses du sexe, malgré les dangers inhérents au contexte social de mon pays : une législation homophobe qui légalise les discriminations, ainsi qu’une forte criminalité.
Cependant, c’est bien ce même contexte qui m’a finalement amené à devoir laisser mon pays, afin de pouvoir sauver ma vie, au tournant de 2020″.
76crimes : « Comment cette violence se traduit-elle ? »
Dieudonné Marrero : « En Jamaïque les lois, les institutions et la société sont profondément homophobes. Le code pénal* jamaïcain en effet stipule que « quiconque sera déclaré coupable de sodomie, commis avec un être humain ou avec un animal, pourra se voir emprisonné et condamné au travail forcé pour une peine allant jusqu’à dix ans », au titre de l’article 76.
Dans les faits, la violence et la criminalité déjà élevée en Jamaïque qui touchent l’ensemble des sphères de la société, ciblent encore plus les personnes LGBTI qui sont vulnérables et fragiles, car les délinquants pensent qu’il s’agit d’un public plus facile à agresser, sans encourir de représailles. De plus, en Jamaïque, il est infamant que de révéler son homosexualité auprès des services de police, qui de toute façon dénient toute protection aux communautés LGBTI.
C’est ainsi que j’ai dû laisser la Jamaïque et abandonner derrière moi mes proches et ma famille pour le Canada, après avoir été menacé, agressé, déshabillé, humilié et braqué au sortir d’un atelier de renforcement des compétences, à New Kingston. Il faut savoir qu’en Jamaïque, il n’est pas rare que la population nous insulte de « battyman » (traduit par enculé), quand ils nous voient arriver dans un quartier et parler de sida et de prévention, auprès des publics les plus touchés par l’épidémie du VIH.

Ainsi, des forbans étaient probablement déjà venus en repérage, aux abords de l’atelier que j’animais afin de m’identifier, quand j’ai littéralement été kidnappé, happé et séquestré dans un véhicule où 4 malfrats déterminés m’attendaient. Ils étaient armés jusqu’aux dents, c’était un véritable guêpier, un guet-apens machiavélique, comme on en voit dans les films de truands.
Finalement, je n’ai été délesté que d’un téléphone dernier cri, très cher d’une marque recherchée. En outre, ils ont essayé de me soutirer 1500 dollars américains dans des conditions confuses, mais je ne les avais pas. J’ai dû par la suite me retirer de l’ensemble des réseaux sociaux, suite à ce mauvais pas.
76crimes : quelles ont été les conséquences de cette agression dans ta vie ?
Dieudonné Marrero : j’ai quitté beaucoup de choses : mon pays, ma famille, mes proches bien-aimés. Mais j’ai aussi découvert beaucoup de choses : Toronto, le Canada et la sécurité que j’étais venu rechercher et qui me sied tant sur les bords du lac Ontario. Puis la société torontoise est très diverse et vibrante. Il faut dire que le Canada reste aussi l’un des derniers grands pays occidental ouvert à l’immigration et cela a beaucoup compté dans mon choix.
Il faut dire que si je vis un exil au Canada, je ne suis pas demandeur d’asile, en effet je suis venu ici plutôt dans le cadre d’un visa de travail, car j’ai un diplôme dans le management des organisations, bien qu’au niveau professionnel, je n’ai pas encore trouvé le travail qui corresponde le plus à mes attentes. Actuellement, je suis un simple aide-soignant.
Concernant mon pays d’origine, je ne compte y retourner qu’en vacances et j’ai fait une croix à l’idée d’y retourner vivre. Le chemin à parcourir pour changer les mentalités sera trop long et j’ai perdu espoir de voir cela de mon vivant. Cependant, je conserve quelques attaches militantes avec la Jamaïque, à travers des contributions à des ateliers de plaidoyer en ligne, notamment avec la Caribbean Vulnerable Communities (CVC).
Enfin, l’autre conséquence des tumultes que j’ai traversés, est que ma foi en est sortie grandie. En novembre 2019, j’étais à Bogota au côté du Global Interfaith Network (GIN), au moment de la structuration du réseau caribéen de GIN. Aujourd’hui encore, à l’extérieur du pays qui m’a vu naître, je reste convaincu que le dialogue entre les communautés LGBTI de foi et spiritualité et les leaders religieux constitue un levier essentiel de la lutte et de la prévention contre les homophobies et les transphobies. Dans l’attente d’une refonte du Caribbean Interfaith Network (CARIN), pour l’heure, j’en suis le leader, provisoirement.
Si vous souhaitez joindre ou écrire un message à Dieudonné Marrero, vous pouvez lui transmettre un courriel à cette adresse : info@76crimes.com.
*Unnatural Offences (Article 76)
“Whosoever shall be convicted of the abominable crime of buggery, committed either with mankind or with any animal, shall be liable to be imprisoned and kept to hard labor for a term not exceeding ten years.”
Article précédent en langue française portant sur la Jamaïque :
- Des signes de progrès en Jamaïque violente, homophobe, 3 décembre 2014, 76crimesFR.com
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