Armando est notre deuxième interviewé. Heureux d’avoir rencontré les bonnes personnes, il songe à retourner à Saint-Martin, dans d’autres circonstances, dès que la situation le lui permettra. Pour 76crimes, conjointement avec Safe, il retrace son parcours, ses embuches, son présent, ainsi que ses aspirations.
76crimes : Pourriez-vous nous décrire votre parcours, Armando.
Armando : « Je viens d’avoir mes 30 ans et je suis issu d’une famille catholique très croyante de la ville de Ducos, en Martinique où j’ai passé toute mon enfance.
De mon enfance, je garde des souvenirs délicieux de l’école maternelle, puis, tout a commencé à devenir plus difficile à partir de l’école primaire, avec d’abord les moqueries, puis le harcèlement scolaire, en raison de mon caractère jugé sensible et féminin. Disons-le, c’était de l’homophobie.
Ma mère est célibataire et dépressive, tandis que mon père avec qui j’ai des rapports plus distants est illettré. A l’école, n’ayant pas beaucoup de soutien de ma famille, j’ai très vite décroché, dans un contexte où je n’avais pas d’amis non plus.
J’ai d’ailleurs quitté l’école en classe de 3ème, à l’âge de 17 ans, en totale perte de confiance en moi. Néanmoins, par chance, je peux dire que je n’ai jamais été battu en raison de mon homosexualité, même si mon entourage gêné me faisait comprendre que je leur faisais honte, sans toujours me le dire, en ce qui concerne ma famille proche.
De toute façon dans l’environnement rural catholique martiniquais où j’ai grandi, me fréquenter ou me parler représentait pour les garçons de mon âge un risque, une perte de réputation certaine et l’exposition à de nombreux commérages.
Alors, ma grand-mère qui m’a pris sous son aile m’a aidé à partir et à quitter la Martinique, pour que je puisse connaître d’autres perspectives que le stigmate social et le rejet. C’est elle qui a payé mon billet d’avion vers l’Hexagone où j’ai pu rejoindre ma tante dans le 14ème arrondissement de Paris, à partir de 2011, à ma majorité.
Finalement, je ne suis pas devenu le steward que je rêvais de pouvoir être, mais au moins ma dépression s’est estompée et j’ai pu commencer à remplir mon CV de nombreuses expériences, principalement dans les domaines de la restauration rapide, puis de la vente ».
76crimes : « Avant votre arrivée à Saint-Martin, avez-vous été confronté à des expériences d’itinérance ? »
Armando : « Toutefois, il m’a bien fallu prendre mon autonomie et au cours de ma vie à Paris, j’ai connu des expériences de sans-abrisme et d’itinérance et j’ai dû composer le 115, comme beaucoup de sans domicile fixe afin de pouvoir trouver un toit où dormir le soir.
Loin de la Martinique, quand on se rend compte qu’on a touché le fond, il faut être psychologiquement très fort pour pouvoir remonter la pente. Mais cela n’a pas duré bien longtemps, fort heureusement et j’ai toujours su rapidement retrouver le chemin de l’emploi. De toute façon, j’étais prêt à faire n’importe quoi, afin de sortir de cette galère.
Ce n’est que 10 ans après ma venue dans l’Hexagone que je me suis décidé à devoir revenir en Martinique, car j’avais besoin de retrouver mes racines et puis j’avais le mal du pays. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. Je vivais chez ma mère, il y avait des grèves, des blocages et mon adaptation n’a pas été simple.
Mon entourage appréhendait aussi mon retour, ainsi que le regard social autour de moi. Le fait que j’assume davantage mon homosexualité a crée des réticences, mais au moins, de ce point de vue, j’ai noté que les mentalités avaient tout de même changé un peu, en 2021.
Le problème à présent était pour moi la relation avec ma mère, car durant mes 10 années passées dans l’Hexagone, je n’avais pu crever l’abcès, tant par rapport à mon orientation sexuelle qu’à des sujets plus sensibles, relatifs à des attouchements que j’avais pu subir pendant mon enfance.
Je n’ai pas forcément trouvé d’écoute de sa part, ni même de l’empathie. J’ai trouvé nos relations toxiques et cela m’a rendu complètement dingue. De plus, je n’ai pas le permis de conduire et en 10 ans en Martinique, rien n’avait évolué en la matière, donc ça empirait mon ressenti d’étouffement ».
76crimes : Comment êtes-vous arrivé à Saint-Martin ?
Armando : « Dans ce contexte émotionnel très intense pour moi, à la fin de mon contrat de travail, je suis parti sur un coup de tête à Saint-Martin, telle une fuite en avant. Il faut dire qu’enfant, lors d’une escale, cette île m’avait toujours énormément fait rêver, avec son aéroport sur la plage.

Arrivé sur place par hasard et un peu perdu dans mes idées, je contemplais les paysages et les gens avec cette sensation de dépaysement qui me manquait tellement depuis longtemps.
Pour mieux le dire, j’ai instantanément senti que là-bas, les gens ont une autre mentalité et sont plus accueillants qu’en Martinique. Il faut dire que l’ile est également très cosmopolite et que cela joue beaucoup.
Cependant, je n’avais pas beaucoup de sous en poche et après un passage éclair chez Pôle-Emploi, sur place, j’étais en recherche d’un hébergement local bon marché. On m’a même recommandé une église, d’ailleurs fermée le jour de mon arrivée.
Je suis parti à l’aventure et à l’aveugle, mais mes expériences de galère en métropole m’ont donné les ressources mentales de pouvoir affronter les difficultés sous le soleil à Saint-Martin, tandis que l’idée d’un retour en Martinique me semblait insupportable.
Cela étant, il faut dire que j’ai bien été servi par le hasard et très rapidement, au gré d’une rencontre fortuite, j’ai fait la connaissance de 3 hommes gays qui se sont proposés de me venir en aide avec une aisance qui aujourd’hui encore me déconcerte. Et je leur en serai toujours reconnaissant, jusqu’à mes vieux jours.
Je pense notamment à François Achkar qui travaille chez Aides, mais aussi à Elie. François m’a prêté son logement durant plusieurs mois, tandis que j’ai pu trouver du travail chez Carrefour grâce à leur réseau d’interconnaissance. Ce sont des personnes juste formidables et éblouissantes ».
76crimes : Comment envisagez-vous votre vie, à présent ?
Armando : « Au terme de mon CDD qui a pris fin en septembre 2022, j’ai fait le choix de revenir en Martinique où présentement, ma grand-mère est à mes côtés. Aussi, j’entrevois la vie autrement et mon expérience saint-martinoise m’a totalement redonné confiance. Même mes collègues étaient des amours là-bas et je me suis promis d’y retourner bientôt, dès que j’aurai mis un peu d’argent de côté et que j’aurai passé mon permis.
En attendant, je travaille dans un sex-shop et surtout je me sens beaucoup plus apaisé en moi. D’ailleurs, je me sens même amoureux de nouveau, après tant de péripéties ».
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