Amériques

Guadeloupe : « la droite radicale antillaise et les braises du populisme numérique LGBTphobe »

Le Gosier, Guadeloupe

Derrière un décors de carte postale, la Guadeloupe est tiraillée tant par son mal-développement que par des relations désenchantées avec l’Hexagone.

Après des semaines d’émeutes, de violences, de manifestations et de barricades de novembre 2021 à janvier 2022, sur fond d’opposition au passe vaccinal, à présent, l’expression du populisme radical et du rejet collectif des élites prend une tournure également LGBTphobe, sur les réseaux sociaux.

A travers une chaîne YouTube, intitulée « La Pause Sans Filtre », Eric Damaseau essaie de catalyser les mécontentements populaires au profit du Rassemblement National sur place, tout en stigmatisant les minorités sexuelles et de genre qu’il exhorte au silence et à l’invisibilité.

Dans un contexte où Marine Le Pen a obtenu 69,60% des suffrages au second tour de l’élection présidentielle en Guadeloupe et à la veille d’un week-end ponctué par de nombreuses manifestations en faveur des fiertés LGBTI, en Guadeloupe, à Saint-Martin et en Martinique, 76crimes a fait le choix d’interroger deux personnalités guadeloupéennes très en pointe dans la lutte contre les LGBTphobies aux Antilles, mais aussi au sein de la diaspora antillaise de l’Hexagone.

Damaseau se sert de YouTube comme d’un levier de populisme numérique

Kami et Mme Viviane Melyon-de France ont eu la gentillesse d’accepter de répondre à nos sollicitations.

Kami, quel est ton ressenti vis à vis du cas Damaseau précédemment évoqué ici dans les colonnes de 76crimes ?

Kami : « J’ai 28 ans, je suis non-binaire je me rends régulièrement en Guadeloupe et je suis assez actif sur les réseaux sociaux, « mé man pa té jen konèt misyé » (je ne connaissais pas ce gars là). En tant qu’activiste transgenre noir et anti-capitaliste issu d’un milieu rural profond, il faut dire que ses idées ne font pas du tout partie de mon « scope », mais à présent, je vais répondre plus en avant sur le fond.

Eric Damaseau est je pense un individu sincèrement épris d’un amour pour son île, mais néanmoins, il ne fait que véhiculer et rabâcher les stéréotypes les plus éculés, en cherchant à conforter l’hétéronormativité de la population noire la plus précaire et la moins diplômée, dont il est issu. Précisément, celle qui comme lui, partage son manque de recul sur les minorités sexuelles et de genre, en raison d’un déficit d’information, probablement.

Finalement, les préjugés entendus sont somme toute assez galvaudés et cela me semble même moins pire que ce auquel j’aurais pu m’attendre : l’homosexualité est contre-nature, c’est un effet de mode ou une déviance morale.

Face à cela, il faut apporter encore et toujours de la pédagogie, même si cela implique de devoir dire et redire la même chose, en déconstruisant chaque argutie de la partie adverse. Eduquer son peuple, cela prend du temps ».

Madame Melyon – de France, sur la pédagogie à la tolérance et à l’acceptation des personnes LGBTI en Guadeloupe, qu’avez-vous à dire au regard de la vidéo où Eric Damaseau dénonce l’action de votre organisation, Amalgame Humani’s, en faveur des personnes LGBTI ?

Viviane Melyon – de France : « Je préside Amalgame Humani’s qui a fêté cette année, ses trente ans. Nous sommes situés aux Abymes, dans une commune populaire de la Guadeloupe. Tout comme monsieur Eric Damaseau, je suis très au fait des difficultés économiques et sociales que traversent les guadeloupéens, car je suis médecin urgentiste, médecin pompier et je suis une des premières praticiennes de l’archipel à avoir pris à bras le corps le problème de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH en Guadeloupe, dans les années 90.

Madame Melyon – de France est la présidente de Amalgame Humani’s

L’association a été fondée par ma mère qui était proviseure de lycée et qui a connu une enfance pauvre et rurale typique des années 1930 en Guadeloupe. Toutefois, à partir de 2017, j’en ai pris les rennes. Ayant grandi dans une fratrie de quatre filles, où l’on nous a appris très jeunes à être des femmes noires, caribéennes, fières et studieuses, je me suis toujours sentie bien dans mes baskets et cela a facilité mon intérêt pour la cause LGBTI, en tant qu’alliée.

Affiches que l’on retrouve placardées sur les bus en Guadeloupe, en mai 2022

Dès l’origine, l’association était tournée vers l’estime de soi des enfants défavorisés, à travers la valorisation de l’expression scénique. Toutefois, à compter de 2017, j’ai décidé de devoir mettre l’accent également sur la lutte contre l’isolement, l’accompagnement des familles, ainsi que la prévention des conduites violentes à l’école.

Le fait que nous nous occupions de la ligne d’écoute Voix-Arc-En-Ciel, à destination du public LGBTI n’est donc pas le fruit d’un accident, mais s’inscrit dans la continuité de combats que nous menons depuis longtemps.

Depuis la pandémie de COVID-19, en outre, nous avons décidé de lancer une ligne d’écoute afin de pouvoir prévenir les conduites suicidaires, notamment chez les jeunes.

Maintenant, pour en revenir à monsieur Eric Damaseau, j’ai trouvé sa vidéo pathéthique. J’en ai eu vent trois semaines après sa publication, en plein contexte électoral mi-avril. Bien qu’il vive à Bordeaux, il passe son temps à rouler sa bosse pour le Rassemblement National en Guadeloupe et pour Madame Le Pen.

Moi je préfère l’ignorer et ne pas lui répondre et poursuivre les actions engagées sur le terrain en préparation de la journée internationale de lutte contre les homophobies et les transphobies, le 17 mai. Nos membres ne souhaitent pas se retrouver exposés à un torrent de haine supplémentaire sur les réseaux sociaux. Ainsi, la meilleure réponse aux discours de monsieur Damaseau est de poursuivre sans relâche un travail en faveur de l’éducation à la diversité sexuelle et de genre, en rendant visibles les problèmes auxquels font face les personnes LGBTI de Guadeloupe.

Néanmoins, les propos tenus par monsieur Damaseau relèvent et procèdent bel et bien de la provocation à la haine et de l’injure publique. Je ne souhaite pas ici reporter davantage ses propos, mais à l’avenir nous réfléchissons à nous porter partie civile aux côtés de personnes victimes d’injures LGBTphobes. Il nous faut pour ce faire, changer les statuts de notre association ».

Kami, que penses-tu de l’impact de la chaîne YouTube, La Pause Sans Filtre, sur la société guadeloupéenne ?

Kami : « Avec 15 000 abonnés, à l’échelle des Antilles françaises, c’est peu comparé à d’autres youtubers et en même temps, c’est déjà beaucoup pour nos petits territoires. J’ai l’impression que Damaseau s’adresse à une frange assez conservatrice de la population de Guadeloupe, dont il aimerait influencer et aiguiller le vote, en faveur de la droite radicale.

Logo de La Pause Sans Filtre

Il voue aux gémonies l’ensemble de la classe politique de Guadeloupe, parfois à raison, sans proposer aucune alternative concrète ou révolutionnaire. Concernant les minorités sexuelles et de genre, il se contente d’ânonner les mêmes préjugés négatifs que l’on connait déjà.

Pourtant, il y aurait beaucoup à dire sur le « pinkwashing » du gouvernement d’Emmanuel Macron, dont Mme Moreno est la représentante. Elle parle de protection des personnes LGBTI, sans toucher mot quant aux problématiques du chômage qui est particulièrement élevé aux Antilles. Etre une personne LGBTI, ca ne reste qu’une appartenance parmi tant d’autres et les personnes LGBTI noires antillaises, sont également inquiétées par la négrophobie à l’embauche, le manque d’eau, l’intoxication cancérigène au chlordécone ou encore le déficit d’auto-suffisance alimentaire ».

Mme Melyon – de France, de quoi ce populisme homophobe, est-il le nom ?

Viviane Melyon – de France : « Le discours de Damaseau met en lumière l’inaction de nombreux élus locaux contre les LGBTphobies. Le discours des élus locaux contre l’homophobie et la transphobie est inaudible. Les populistes très nombreux, estiment que ce sont des sujets qui ne font pas avancer la Guadeloupe et qu’il s’agit là de sujets qui ne sont pas nobles. Or, les élus n’aiment pas se frotter à des dossiers qui suscitent de nombreuses réticences.

Par exemple dans mon association, nous comptions 250 adhérents à jour de cotisation en août 2020. Depuis le lancement de la Voix Arc-En-Ciel en novembre 2020, à présent nous ne sommes que 76 membres, d’après nos derniers décomptes d’août 2021. Je trouve cela proprement aberrant.

La Guadeloupe a connu une forte agitation sociale fin 2021. (Photo by Christophe ARCHAMBAULT / AFP)

Aussi, j’observe que les réseaux sociaux font un mal terrible à la Guadeloupe et servent de caisse de résonnance pour pouvoir échauffer les esprits, au profit de quelques « grandes gueules », tandis que l’on fait face à un déficit d’expertise, ce qui fait que les lignes de crédit budgétaire ne sont pas épuisées, puis repartent à Paris ou Bruxelles.

Quant au vote en faveur de Marine Le Pen qui s’est exprimé le 23 avril dernier ici (les Antilles votent le samedi), cela fait suite au confinement et à des séquences d’une extrême violence, où énormément de mobiliers urbains ont été vandalisés et détruits. Il y a dans ce pays, un déficit de recherche de voies médianes et constructives qui favorise les montées aux extrêmes. Cependant, le « lepénisme » n’est pas véritablement ancré ici, même si certains s’évertuent à banaliser le Rassemblement National, sur place ».

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