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Eco-féminisme noir lesbien à Paris : Faire face aux conséquences du chlordécone de l’autre côté de l’Atlantique

Plus de 90% de la population de Guadeloupe et de Martinique est contaminée par un pesticide, le chlordécone, qui était utilisé dans les plantations de bananes de 1972 à 1993 avec l’assentiment des autorités sanitaires françaises qui connaissaient pourtant les risques et la toxicité de ce produit pour l’homme. Aujourd’hui, la Guadeloupe et la Martinique affichent les plus forts taux de cancer de la prostate au monde.

Pour rappel, le chlordécone est considéré comme « perturbateur endocrinien, neurotoxique, toxique pour la reproduction et le développement, ainsi que cancérogène », avec un effet « transgénérationnel » sur la fertilité.

Face à ce scandale sanitaire, en juin 2023, les Diivines lgbtqia+, une association LGBT+ afro-caribéenne, ont obtenu un vœu de la mairie de Paris, le 8 juin dernier, porté par Alice Coffin, qui a été voté à l’unanimité, en vue de permettre la gratuité du dépistage du chlordécone dans tous les centres de santé de la ville de Paris, notamment auprès de la communauté antillaise qui est la plus concernée. Auparavant, pareil test sanguin coûtait entre 120 et 160 euros.

Les bananeraies, paysage emblématique de l’agriculture antillaise (Instagram: @bananeguadeloupemartinique)

Le combat de l’association Diivines lgbtqi+ pour le dépistage gratuit du chlordécone chez les Antillais de Paris

Logo de l’association Diivines lgbtqi+

Interview avec Pierrette Pyram Ambrosio, présidente des « Diivineslgbtqi+ Visibilité – Représentativité Afro-Carïbéen.nes LGBTQIA+ » , une association de LGBT+ noire de Paris.

76crimes : « Pourquoi des activistes lesbiennes noires contre le racisme et la lesbophobie à Paris ou en banlieue, s’intéressent à la santé publique et au sujet du chlordécone qui touche surtout les Antilles ? »

Pierrette : « Durant des manifestations, on a rencontré la représentante parisienne d’une association martiniquaise de soutien aux ouvrières et aux ouvriers de la banane contaminés par le chlordécone. Cette organisation s’appelle « 0 chlordécone, objetif 0 poison». Elle demande toujours réparation face à ce scandale sanitaire qui est aussi un crime environnemental, selon moi. D’ailleurs la fin des épandages aérien du chlordécone a été tardive.

Fin 2022, avec d’autres personnalités telles que Malcom Ferdinand, on a voulu continuer la lutte à Paris contre cet « empoisonnement d’Etat » en poursuivant notre mission d’information du public, à travers un collectif appelé « chlordécone justice et réparation » qui occupait le pavé Place de la Nation, où Mathilde Panot (députée de gauche de La France Insoumise) qui est très au fait du dossier de l’eau en Guadeloupe est venue à notre rencontre pour prendre connaissance de nos doléances.

Instagram: @diivineslgbtqi_plus

Parallèlement, de notre côté, au sein de l’association Diivineslgbtqi+, on a réfléchi à l’impact du chlordécone sur la santé des femmes tout en déplorant le fait que l’on n’ait pas assez d’information là-dessus. Si la corrélation est à présent admise, au bas mot, entre prévalence de la prostate et exposition au chlordécone aux Antilles (NDLR : bien que des études poussées et comparatives soient encore nécessaires), il n’y a pas de raison de penser que les femmes ne soient pas elles aussi impactées par le pesticide sur le plan de la santé.

C’est d’ailleurs pour ça que mon père m’a demandé si j’avais fait un dépistage au cours de mon dernier passage en Guadeloupe, mais vivant à l’année dans l’Hexagone, je lui ai dit qu’il était hors de question de payer 130 euros pour faire le test à Paris et qu’il fallait qu’on se batte pour obtenir la gratuité du dépistage pour tous les antillais qui vivent en Ile de France et qui peuvent avoir été exposés au chlordécone à différentes étapes de leur vie aux Antilles. Le chlordécone ne fait pas de distinction d’orientation sexuelle ».

76crimes : « Comment avez-vous pu traduire vos aspirations en proposition politique soumis à un vote ? »

Pierrette : « On a organisé une conférence à la flèche d’or le 31 mai, dédiée à l’enjeu de santé publique du dépistage gratuit du chlordécone, pour les Antillais résidant en région parisienne ainsi que dans l’Hexagone.

A cet effet, Alice Coffin et Laurent Sorel (natif de Martinique) qui sont des conseillers de Paris se sont engagés à traduire nos aspirations en vœu que l’on a co-écrit ensemble, avant de le soumettre à un vote des élus parisiens le 8 juin. Vœu qui a été accepté à l’unanimité.

C’était très émouvant, car c’est aussi l’aboutissement de luttes qui sont menées par les militants de terrain depuis plusieurs années aux Antilles. Et en même temps, c’est une action dont les retombées bénéficient à tous les afro-caribéens qui vivent ici à Paris.

Après le 8 juin, tous les centres de santé de la capitale, ont reçu une lettre de l’adjointe à la santé publique de la ville de Paris, Anne Souyris, afin d’être informés. Parallèlement, l’Agence Régionale de Santé d’Ile-de-France doit suivre ce dossier avec les hôpitaux de Paris (APHP) et l’on suit cela de près, avec un peu d’impatience.

On aimerait que ça aille plus vite et d’ores et déjà nous avons constitué une liste de 10 personnes volontaires pour se faire dépister. On souhaite que cela puisse être pris en compte avec le même sérieux que l’épidémie de variole du singe en 2022, par exemple.

Aussi, on sollicite une campagne nationale de sensibilisation à l’impact du chlordécone sur notre état de santé, à l’aide d’un manuel ou d’un fascicule destiné à tous les originaires des Antilles ou aux personnes qui y ont vécu un temps, y compris les touristes qui ont séjourné sur place plusieurs fois.

Enfin, il faut former plus de médecins à la problématique du chlordécone, notamment à l’Institut Gustave Roussy de Villejuif qui est pourtant spécialisé en cancérologie, car de plus en plus de patients atteints de cancers venant directement de Guadeloupe et de Martinique s’y rendent seuls, faute d’une prise en charge hospitalière adéquate dans les deux îles. C’est vraiment très grave ce qui se passe ».

Les représentantes des Diivines LGBTQI+ affichant une banderole contre le chlordécone, devant l’hôtel de ville de la mairie de Paris, le 8 juin 2023 (Instagram: @diivineslgbtqi_plus)

76crimes : « Est-ce que les responsables de ce scandale sanitaire ont été jugés et à quoi ressemble la vie des antillais aujourd’hui là-bas ? »

Pierrette : «La justice n’a pas été dans notre sens. Le 2 janvier dernier, elle a statué un non-lieu, bien qu’elle reconnaisse des atteintes environnementales avérées. On va faire appel face à l’Etat et au lobby des producteurs de bananes. A l’avenir, on souhaite que les institutions publiques ne donnent plus d’argent aux gens qui ont eu une responsabilité dans ce scandale sanitaire.

Sinon au quotidien, les antillais doivent gérer les conséquences d’un crime environnemental, puisque lors des épandages aériens du chlordécone, l’air, le sol et l’eau, ainsi que les plantes et les animaux ont été contaminés.

Il est peu recommandé de consommer les productions locales, mais tout dépend de la cartographie des lieux, car les concentrations de chlordécone ne sont pas partout les mêmes. L’élevage et la pêche littorale sont affectés, tandis que la nappe phréatique est également touchée, en raison des stocks de pesticides qui étaient laissés négligemment à même le sol et qui se sont déversés dans des ruisseaux, lors des cyclones.

Dans ce contexte, il devient impératif de procéder à la décontamination des sols, si tant est que cela soit faisable, ce qui représente plusieurs centaines de km².

Mais il ne faut pas être résigné. Les guadeloupéens n’ont d’autres choix que de vivre dans leur propre archipel ».

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2 réflexions sur “Eco-féminisme noir lesbien à Paris : Faire face aux conséquences du chlordécone de l’autre côté de l’Atlantique

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