Amériques

Portrait : Dominique Pouzol, artiste guadeloupéen engagé contre les LGBTphobies en Guadeloupe

Samedi dernier, Dominique Pouzol a fait partie des 6 personnes qui ont pris part à la marche des fiertés de Guadeloupe qui n’a réuni que 6 personnes, à l’initiative de « Ma Différence LGBT+ » (déclarée le 20 novembre 2019), du « Centre LGBT+ de Guadeloupe » (déclaré en préfecture le 5 mai 2021) et de « Pride de Guadeloupe » (déclaré en préfecture le même jour) qui sont 3 organisations fondées par une seule et même personne, Lydie Siwsanker.

76crimes a voulu donné la parole à Dominique, afin qu’il explique son positionnement en tant qu’artiste natif de l’île qui était présent à cette marche, pour savoir comment son engagement impacte son art et vice versa.

Titre : « Moi aussi un jour mon prince viendra ». Extrait d’une série de photos prises à l’occasion des 10 ans de la « Loi Taubira » en faveur du mariage pour tous, dont un exemplaire est actuellement présenté à l’exposition collective estivale du bar Le Duplex, à Paris. Dominique Pouzol, 2023, ADAGP

Dominique Pouzol : « Je suis un artiste plasticien gay de 42 ans et je vis entre la Guadeloupe et Paris. Je suis né en Guadeloupe et c’est ici que j’ai fait toute ma scolarité, notamment à Basse-Terre au lycée Gerville-Réache, avant de m’orienter vers l’Institut Régional d’Arts Visuels de la Martinique.

« La diversité est notre force, ensemble nous sommes plus forts », en français, tel était le mot d’ordre de la seconde marche des fiertés de Guadeloupe.

Plus tard, je suis parti dans l’Hexagone pensant pouvoir vivre plus librement ma vie sexuelle et affective. Ca m’a permis de pouvoir poursuivre mes études en arts plastiques, à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis. Néanmoins en France, on est confronté à d’autres difficultés et à d’autres discriminations et le combat en faveur de la liberté et de l’émancipation ne s’arrête jamais.

Finalement, j’en suis arrivé à la conclusion que pour que les choses changent, il faut sortir de sa zone de confort. Cela implique de poursuivre une lutte endogène et à visage découvert contre les discriminations. Et ce n’est pas en allant s’exiler sous d’autres cieux que l’on fera évoluer les mentalités de nos parents, de nos proches, de nos voisins ou de nos pairs.

Le but dans la vie, c’est de pouvoir se sentir libre chez soi. En tout cas, c’est ainsi que j’envisage les choses et c’est ce qui m’a amené à me joindre à la marche des fiertés organisée par Lydie pour réclamer nos droits ».

Les 6 participant.es ont défilé à 16H00 dans les rues de Pointe-à-Pitre samedi après-midi, au cri de « ansanm nou pli fò » (plus forts ensemble en français) ou encore « divèsité sé fòs pou Gwadloup » (la diversité est une chance pour la Guadeloupe en français).

Titre : « Monstre composite ». Collage, technique mixte,10 x 15 cm, 2020, Dominique Pouzol, ADAGP. « Réunir tous mes fantasmes en une seule image ».

76crimes : « Vous manifestez pour pouvoir réclamer quels droits ? »

Dominique Pouzol : « Le nombre de participants m’invite à penser que nombre de gens en Guadeloupe mènent une double vie. D’autre part, politiquement, je constate à regret que beaucoup de gens ne sont pas encore prêts à pouvoir pleinement vivre leur citoyenneté à visage découvert.

C’est pour ça que la plupart des participants à la marche des fiertés ne vivent pas à l’année ici. En discutant entre nous, on a d’ailleurs remarqué que 4 d’entre nous sommes de passage et c’est vraiment les réseaux sociaux qui nous ont rapprochés autour de cet évènement.

En réalité en Guadeloupe, on se bat pour un droit à la visibilité qui est loin d’être gagné et qui est pourtant la condition essentielle à un véritable droit à l’indifférence, face à l’hétéronormativité ambiante, afin que les gens ne soient plus surpris ni étonnés si on leur dit, « je suis un homme et j’ai un compagnon ».

Trop souvent, il faut encore convaincre paradoxalement que l’égalité des droits ne menace pas les droits de ceux qui en ont, tandis que les droits sont des acquis qui ne sont jamais totalement définitifs.

Par exemple, il y a 10 ans, Victorin Lurel, alors ministre de l’outre-mer du gouvernement Hollande n’était pas favorable au mariage pour tous. Et aujourd’hui encore, je n’ai pas l’impression que cette loi soit entrée dans les moeurs. D’ailleurs, la classe politique locale ne s’empare pas de ces sujets en faveur de l’égalité et c’est préjudiciable aux mobilisations comme on a pu le constater samedi passé.

Plus largement, dans nos îles, les traditions sont solidement ancrées au sein des familles où le mariage renvoie souvent au sacré et au religieux, ainsi qu’à la procréation; alors que pour les personnes LGBT+, le mariage est affaire de protection, en cas d’héritage ou de succession pour le conjoint veuf.

En outre, je n’ai jamais envisagé sérieusement me marier dans la vie, mais aujourd’hui, je me dis que la loi ouvre la porte à un choix et elle élargit le champ des possibles, à des gens qui comme moi n’en avaient pas auparavant ».

Capture d’image de la performance GRRr…fait le Monstre (qui est un autre Moi, un autre Nous). Festival INACT (Strasbourg, 2022). Photo: Valentine Zeler, 2022. Masque de carton, Dominique Pouzol, 2022, ADAGP.

76crimes : « Est-ce que la lutte contre l’homophobie traverse ton oeuvre artistique ? »

Dominique Pouzol : « C’est un sujet que j’essaie de traiter à travers la figure du monstre qui est une métaphore de la façon dont je me suis longtemps perçu, à travers le regard des autres, parce que je suis noir et homosexuel. De toute façon, à travers l’art, il me faut traiter politiquement des oppressions que je vis dans ce monde hétéronormé, car j’ai plein de monstres qu’il me reste à faire découvrir à mon public, comme autant de sujets douloureux qui parcourent aujourd’hui la société antillaise ».

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