3 ans après le décès tragique et brutal de Charlot Jeudy, 76crimes a été à la rencontre du capois Steeve Grand-Jean qui coordonne Autonome pour l’inclusion et l’Émancipation Sociale (AIES), afin de savoir comment la situation avait évolué sur place.
76crimes : parlez-nous de vous ?
Steeve Grand-Jean : « Je suis Steeve Grand-Jean, j’ai 33 ans et je viens de l’univers du journalisme et de l’animation radio. Je suis issu de la ville du Cap-Haïtien, la deuxième grande ville du pays et je fais partie des communautés LGBTI. Ce qui m’a d’abord interpelé, c’est le manque d’espace de délibération et la vision souvent manichéenne qui accompagne le débat public autour de sujets sociétaux. C’est pour éduquer mon peuple face à des idées fausses que j’ai fondé AIES« .
76crimes : 3 ans après l’assassinat de Charlot Jeudy, qu’en est-il de la situation haïtienne ?
Steeve Grand-Jean : « En Haïti, il faut lutter et se battre pour obtenir tout ce qui est vital simple et essentiel, ailleurs dans le monde. La principale cause en est l’insécurité, la violence et la criminalité. C’est principalement Port-au-Prince, la capitale qui est touchée. La population y vit sous la coupe réglée de gangs et de cartels qui s’entre-déchirent pour les ressources des quartiers qu’ils contrôlent. La population y mènent une vie en sursis entre les balles perdues, tandis que de temps à autre, l’on a connaissance de massacres perpétrés contre des civils en périphérie de la ville. Le quotidien des habitants est rythmé par les pénuries et les carences : carence d’eau, d’électricité, de carburant. Il en résulte une destruction du tissu économique et social et des déplacements de plus en plus périlleux. Heureusement, dans les autres grandes villes du pays, il en va différemment. Cependant, c’est l’ensemble de l’écosystème des organisations de défense des droits humains qui sont impactés par cette violence. En effet, si nos corps sont criblés de balles ou brûlés, comment pouvons nous venir en aide aux communautés vulnérables ? »
76crimes : Connaissez-vous des personnes LGBTI qui ont intégré les gangs ?
Steeve Grand-Jean : « Je ne fréquente pas du tout le milieu du crime organisé, donc je ne saurai vous répondre, mais c’est une question piquante ».
76crimes : Comment faites-vous face à cette situation dans votre organisation ?
Steeve Grand-Jean : « Fondée en 2018, AIES fait de l’éducation à la citoyenneté la colonne vertébrale de son action en faveur des droits humains. Dans ce cadre, nous nous intéressons naturellement aux problèmes de discrimination LGBTphobes. Concernant les difficultés rencontrées, il y a celles sur lesquelles nous ne pouvons rien : lenteur administrative pour se faire enregistrer, coûts des diverses procédures pour accélérer l’enregistrement. Enfin, il y a des difficultés face auxquelles nous pouvons agir, notamment quand il en va de la sécurité de nos membres ou intervenants, lors d’ateliers : prévoir des trajets et des hébergements sûrs, à proximité du lieu de déroulement des séminaires. Cela engendre des surcoûts, bien entendu, mais la vie des participants ne peut être mise en péril ».
76crimes : Vous-même, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Steeve Grand-Jean : « J’ai grandi dans une famille de témoins de Jéhovah et mon homosexualité m’a valu une excommunication suite à une amourette avec un autre garçon de la congrégation. A l’époque j’étais adolescent. Suite à cette exclusion, alors que l’Église représentait tous mes repères, j’ai dû longuement me reconstruire et c’est aussi pour permettre à mes pairs d’être soutenus dans de pareilles épreuves que j’ai fondé AIES. Cependant, aujourd’hui encore, le souvenir du soir ayant suivi l’annonce de mon excommunication me hante. Notamment le souvenir de mes parents et de mes proches qui s’entrelaçaient alors en sanglots. De manière générale, les Témoins de Jéhovah représentent une des branches les plus strictes du protestantisme : absence de sorties avec « les gens du monde », pas de carnaval, pas d’anniversaire et pas de rapports sexuels avant le mariage ».
76crimes : comment voyez-vous l’avenir ?
Steeve Grand-Jean : au vu des difficultés auxquelles nous devons faire face, nous avons quand même la chance d’être soutenus par des institutions qui croient en nous et en notre capacité à transformer les mentalités. Sinon, ils nous auraient été bien plus difficile que de pouvoir organiser des colloques, des réunions ou même des séminaires de travail.
Si vous souhaitez soutenir AIES, vous pouvez écrire et laisser un message à l’adresse électronique suivante : autonomeinfos2018@gmail.com.
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