A l’occasion de la remise de son rapport annuel d’activités. L’organisation haïtienne « HERITAGE POUR LA PROTECTION DES DROITS HUMAINS » par l’entremise de son coordinateur de projets Robens DOLY, nous dresse un panorama des difficultés rencontrées par les personnes LGBTI sur place et des solutions communautaires mises à l’oeuvre pour y répondre.

Interview téléphonique de Robens DOLY réalisée par Moïse MANOEL, le 30 novembre 2020.
Quels sont les contextes d’intervention de votre organisation ?
Par rapport à d’autres organisations communautaires haïtiennes, notre périmètre d’action s’étend davantage au Nord et au Nord-Est du pays, sur les secteurs de Fort Liberté, Ouanaminthe, Trou du Nord, mais pas uniquement.

D’un point de vue politique, cette année, il y a eu un décret relatif à la possibilité du changement de la mention du genre sur les cartes d’identité nationales. Les passions homophobes se sont déchaînées sur la voie publique, à travers des cortèges de catholiques et d’évangélistes intégristes qui se sont fait bruyamment entendre. Comme souvent en ce type de circonstances, des débordements ont eu lieu, avec des manifestants qui s’en sont pris à l’intégrité physique de personnes non-hétéronormées.
D’un point de vue anthropologique, il est courant en Haïti de représenter les personnes LGBTI comme des individus débauchés, dépravés, pervertis et moralement décadents. Par exemple au Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays, les personnes LGBTI font souvent face à des refus de soins émanant de certains personnels de santé évoquant une sorte de clause de conscience implicite. Les personnes LGBTI restent souvent cantonnés au secteur du commerce informel, sans nulle autre perspective d’avenir. Toutefois la situation dans le nord d’Haïti est loin d’être uniforme. Par exemple, à Ouanaminthe qui est une cité provinciale forte de 180 000 habitants, la population est davantage vaudouisante, de plus, la proximité avec la République dominicaine, confère davantage d’ouverture en termes de mentalité, avec des moeurs beaucoup plus libres.
« HERITAGE POUR LA PROTECTION DES DROITS HUMAINS » travaille sur un secteur géographique qui est très largement frontalier, avec beaucoup de passages et de flux de personnes et de marchandises. En République dominicaine, les droits des personnes LGBTI sont mieux respectés qu’en Haïti et d’autre part beaucoup de personnes LGBTI partent y chercher des opportunités économiques. On peut aller de l’autre côté de la frontière à pied et pour les personnes LGBTI disposant de peu de ressources, c’est une destination migratoire de choix autant que de proximité, garantissant un peu de liberté sexuelle, en dépit d’un racisme manifeste et d’une xénophobie patente. Par exemple, en Haïti, il n’est pas possible de vivre en couple pour les personnes LGBTI.
« HERITAGE POUR LA PROTECTION DES DROITS HUMAINS » travaille également avec d’autres publics précaires. Ouanaminthe fonctionne comme une zone franche, avec un parc industriel abritant des ateliers de confection. La main d’oeuvre y est exclusivement féminine et d’extraction rurale. Les salaires y sont très bas et les femmes éloignées de leurs familles y sont très vulnérables. Des trafics et du proxénétisme prospèrent sur cette misère, tandis que des chauffeurs routiers sillonnent la région avec des camions de fret. D’aucuns dans la région assurent que la prostitution paie plus que le travail dans les usines.

Parlez-nous de la rencontre avec votre public ?
Comme on intervient dans une zone où les migrations sont intenses, on travaille sur de l’écoute, du suivi et de l’accompagnement psycho-social au téléphone et sur le terrain. On oriente aussi le public que l’on rencontre vers d’autres partenaires du système de soins ou en matière de justice et de droit.
L’on va notamment à la rencontre de femmes LBTI qui sont travailleuses du sexe. En Haïti, on les appelle : « bouzen ». Les femmes ont souvent à charge leurs enfants, sans le soutien des pères. Dans ce contexte, faire commerce de son corps permet d’améliorer et d’embellir le quotidien, en comblant certains manques matériels. Cependant, ces femmes LBTI font l’objet d’une double discrimination, à la fois en tant que « bouzen » et en tant que lesbiennes. Cela peut aller jusqu’à prendre la forme de viols quand elles ne sont pas battues. En 2020, notre ligne d’écoute mise en place à l’aide d’Affaire Mondiale Canada et d’Avocats sans frontières (Canada) a déjà permis de recenser 141 femmes et 169 hommes, parmi les appelants. 52 femmes nous ont dits être lesbiennes.
L’autre public que l’on rencontre, sont les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HARSAH). Bien que nombre d’entre eux soient des travailleurs du sexe souvent hétérosexuels, la société préfère voir en eux des homosexuels exclusifs. C’est une vision rétrograde qui ne laisse aucune place à la dimension affective d’une relation entre deux hommes. On observe que les HARSAH sont un public vulnérable à l’exposition au VIH et nous menons à cet effet un intense programme de dépistage. Pour 2020, 216 personnes ont été dépistées, dont 19 sont réactives, soit 8% de nouveaux cas pour cette année.
Afin de prévenir les suicides et afin de compléter l’accompagnement proposé par notre ligne d’écoute et nos équipes de dépistage, nous avons mis en place en 2020 des groupes de paroles, ayant réuni pas moins de 50 personnes en situation de très grande détresse psychologique. Nos publics ont besoin d’un soutien pour ne pas rester isolés et pour pouvoir s’exprimer, si l’on souhaite transformer les mentalités en Haïti. En ce sens, il nous faut rester vigilant à continuer à nous adresser aux personnes qui ne sont pas LGBTI, en poursuivant nos efforts de diffusion de messages de sensibilisation au respect des droits humains. Qui plus est, en cette période de crise sanitaire liée à la COVID-19.
Si vous souhaitez pouvoir joindre Robens DOLY, vous pouvez lui adresser un courriel à l’adresse électronique suivante : heritagehaiti2016@gmail.com .
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