Amériques

Haïti : la perle des Antilles, un an après la perte de Charlot

Un an après le décès de Charlot Jeudy, où va Haïti et sa communauté LGBT ? Où en est-on ? C’est ce auquel va s’attacher de répondre Edmide Joseph qui est coordinatrice de « Femme en Action contre la Stigmatisation et la Discrimination Sexuelle » (FACSDIS), à Port-au-Prince.

Carte d’Haïti (Source : Wikipedia)

Propos reccueillis au téléphone par Moïse MANOEL, le 15 Octobre 2020.

Depuis la mort de Charlot Jeudy, défenseur des droits LGBT en Haïti, est ce qu’il y a eu du nouveau du côté de l’autopsie et de l’enquête ? Et qu’est-ce que le décès de Charlot Jeudy a changé depuis un an ? Faites-vous désormais plus attention aux enjeux de sécurité ? Comment vous êtes-vous adaptée au contexte consécutif au décès de Charlot Jeudy ?

Un an après, l’ombre du décès de Charlot JEUDY
plane toujours sur la communauté LGBT haïtienne.

Depuis le décès de Charlot, le 25 Novembre 2019, nous attendons toujours les résultats de l’autopsie. Sans eux, point de conclusion de l’enquête qui reste pour l’heure au point mort. Cela dure depuis maintenant trop longtemps, presque un an. Durant un an, nous n’avons eu de cesse que de demander des comptes aux autorités. Si besoin, pour commémorer le triste anniversaire de la disparition de Charlot, le mois prochain, nous irons à nouveau faire entendre nos voix. Cette opacité autour des conclusions de l’autopsie a pour moi un parfum de scandale politique. En effet, les familles de plusieurs personnes décédées cette année, ont déjà eu depuis fort longtemps, les résultats de l’autopsie de leurs défunts. De mon côté, il y a une vraie incompréhension. On dirait qu’il y a une homophobie sous-jacente dans ce refus de divulguer les causes de la mort de Charlot.  

En tout cas, pour la communauté LGBT haïtienne, on peut dire que le décès de Charlot est loin d’avoir mis un terme aux violences. Bien au contraire. Elles ont redoublé. Par exemple, l’ex-directrice générale de FACSDIS a été menacée à plusieurs reprises, à tel point, qu’elle a dû trouver refuge en République dominicaine. Pour l’heure, elle se refuse toujours à revenir en Haïti, car elle est traumatisée. Les églises sont souvent à la source de messages de haine et de violence. Par un climat de peur et d’intimidation, c’est aussi un moyen politiquement de contrôler les masses, les minorités sexuelles, ainsi que les femmes. Cette atmosphère instillée par des prêcheurs avec l’assentiment d’une certaine classe politique déconsidérée est propice aux violences faites aux femmes. Elles sont trop souvent violées, maltraitées et la situation va en s’empirant. Les agresseurs profitent souvent de l’ignorance des femmes et des lesbiennes quant à leurs droits dans la société haïtienne. Il y a des actions de renforcement de capacités communautaires à mettre en oeuvre en la matière.

Depuis plusieurs mois, il y a une paralysie politique en Haïti. Comment se positionne la communauté LGBT haïtienne par rapport à çela ? Et comment avez-vous fait face à la pandémie liée à la COVID-19 ?

La communauté LGBT connaît une situation de stress intense, en pleine épidémie de la COVID-19. Il manque beaucoup d’informations sur la pandémie en Haïti. Les données épidémiologiques reccueillies sont lacunaires et aléatoires. Certaines régions sont difficilement accessibles par manque d’infrastructures de transport. Les dispensaires sont inégalement répartis dans un pays globalement démuni face à cette nouvelle pandémie. Or, cette situation d’une population abandonnée et livrée à elle-même, peu instruite, en plein chaos sanitaire international, constitue un terreau fertile aux rumeurs pour des gens désespérés, en quête d’explications face à toutes ces catastrophes et malédictions venues d’ailleurs.

Ainsi, dès qu’une catastrophe touche les rivages d’Haïti, des pasteurs cherchant à contrôler une population fragile et crédule, accusent immédiatement les individu.es qui remettent en cause leur leadership politique et communautaire d’en être les responsables voire les auteur.es. Et bien souvent, il faut le reconnaître, ce sont les personnes LGBT qui sont directement visées. Il y a ici de la part de nombreux pasteurs, un dévoiement de la théologie chrétienne à des fins de pouvoir, afin de mieux discréditer les éléments du corps social les plus libres et donc les plus rétifs à leur influence, tel.les que les homosexuel.les.

Lors du séisme de janvier 2010, la communauté LGBT avait été accusée d’être la cause directe du tremblement de terre et de tous les morts et de toutes les destructions qui en avaient été consécutives. Des versets bibliques invoquant le feu de Dieu s’abattant sur Sodome et Gomorrhe étayaient cette explication apocalyptique, en annonçant une fin du monde proche. De toutes façons, c’est bien simple. A chaque fois qu’un soubresaut survient en Haïti, que ce soit au niveau politique, économique, social, climatique ou tellurique, la communauté LGBT est mise à l’index. Et les agressions pleuvent.

M. Jovenel Moïse, président d’Haïti
(Photo de VOA par Wikimedia Commons)

Depuis 3 ans, nous sommes en pleine crise politique et rien ne fonctionne en Haïti. On ne peut pas sortir et aller au travail sans craindre pour sa sécurité. Il y a des grèves et des manifestations très régulièrement. La situation économique d’Haïti n’est pas stable et les services publics sont à l’arrêt. On parle de « pays-lock » pour désigner avec résignation cette situation de paralysie.

En tant qu’activiste LGBT, le blocage du pays dans maintes domaines affecte fréquemment notre travail, car nous ne pouvons pas mener des actions hors les murs, en termes de prévention et de sensibilisation. Pourtant les violences faites aux femmes lesbiennes, elles, ne connaissent pas de répit. Le 17 Octobre, on doit commémorer la mort de Dessalines et de nombreuses manifestations devraient avoir lieu à travers le pays, malgré les interdictions. C’est d’ordinaire un temps fort de revendications pour les syndicats et l’opposition. Cette fois-ci, si un bras de fer venait à nouveau à intervenir avec les autorités, on sait d’ores et déjà qu’on en aurait pour une ou deux nouvelles semaines de « pays-lock ». C’est un contexte de tension propice à l’appréhension, car durant les troubles survenant en marge des mouvements sociaux, les personnes efféminées doivent se mettre davantage à l’abri qu’à la normale. En effet, leur visibilité dans ces moments de tensions, empire l’animosité dont elles sont déjà l’objet, d’habitude.

Récemment, il y a eu un regain de violence en région portoprincienne, avec un meurtre et une disparition non élucidée. Peux-tu nous parler de la personne décédée si tu la connaissais ?

Concernant le jeune homme disparu, il s’agit d’un activiste de KOURAJ. Depuis le 05 Octobre dernier, nous n’avons plus de ces nouvelles. Depuis, l’enquête piétine.

Photo de Maïkadou ROSIER (photo internet)

Maïkadou, je l’ai connu par l’intermédiaire d’une connaissance en commun que nous avions et qui était journaliste. Maïkadou était un garçon très soucieux des autres et très doux.

C’était un maquilleur qui a étudié dans une école très renommée en Haïti. Il avait fait ses classes à l’école Michel Chataigne, en cosmétologie. On dit de Maïkadou aujourd’hui au passé, qu’il était le plus grand maquilleur d’Haïti. C’était aussi une figure et un pilier de la communauté LGBT à Port-au-Prince, en raison de sa notoriété et de son professionnalisme.

Avant son décès, il n’était déjà plus le même et il employait un ton teinté de gravité. Dans sa dernière note vocale sur Whatsapp, il disait se sentir très mélancolique par rapport à la situation du pays. Comme beaucoup ici à Port-au-Prince, il se sentait obligé de sécuriser son domicile pensait-il pour éviter une attaque.

Le lendemain, le corps de Maïkadou a été retrouvé gisant au sol par sa servante. La position du corps et les multiples blessures ne laissent guère place au doute. A présent, comme pour Charlot Jeudy, nous réclamons une enquête sérieuse et aboutie.

Quel est l’agenda politique de la communauté LGBT haïtienne, actuellement ? Quels sont les défis qui restent à relever selon toi ?

Il y a un comité de plaidoyer en Haïti, mais cette année, nous n’avons pas eu le temps de beaucoup nous réunir.

Il y a eu un projet de loi à la fin du premier semestre, pour permettre aux personnes trans, d’avoir une carte d’identité nationale tenant compte de leur nouvelle identité de genre. Ca a fait couler beaucoup d’encre, comme on pouvait s’y attendre. Bien évidemment, les leaders religieux (chrétiens) sont montés au créneau en jouant la carte de l’opinion, face aux élu.es, afin d’étendre leur emprise sur la population et de décrédibiliser les institutions quand elles ne vont pas dans leur sens. Finalement, la loi a été adoptée et depuis elle ne fait plus de vagues.

Aujourd’hui, notre principal défi est d’arriver à se faire entendre auprès du gouvernement, afin que le résultat de l’autopsie du corps de Charlot Jeudy puisse parler et faire progresser l’enquête. Le droit à une justice efficace et équitable est encore une gageure en Haïti.

Haïti est souvent dépeinte très négativement dans la presse internationale. Pour toi, quels sont les facteurs d’espoir que tu vois pour l’avenir de ton pays ?

Moi je vois l’avenir de mon pays en pointillés ou dans un brouillard. Ici on vit au jour le jour. Les hommes politiques se succèdent, sans que les choses n’évoluent dans la vie matérielle des haïtiens. Cela impacte les femmes négativement, hélas et surtout, il n’y a pas beaucoup de travail en Haïti pour la jeunesse. Le quotidien en Haïti est fait d’incertitude. On part le matin de chez soi, sans être jamais certain de pouvoir rentrer. Tout passe par le système D. Ici, c’est le règne de la débrouille au jour le jour. Alors, pour certains, l’avenir passe par l’exil : Chili, Brésil, République dominicaine, mais il faut de l’argent pour cela et des réseaux.

Alors d’autres trouvent à gagner leur pain, à travers le crime organisé. Nous avons de très graves problèmes d’insécurité. On a peur de sortir, on a peur des gens, on a peur des moto-taxis et des kidnappings. Des fois, les bandits sont habillés en uniforme, avec de vraies-fausses voitures de police. Les ravisseurs demandent souvent 1 million de dollars américains. On se demande à qui profite ce climat de peur délétère qui s’installe dans la société haïtienne, à Port-au-Prince, dans la capitale ?

En définitive, si on n’a pas un pays stable, nous ne sommes pas stables dans nos vies nous aussi, nous les personnes LGBT d’Haïti.

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