76crimes est allé à la rencontre de Dillon Mohamed, au Guyana, un pays amazonien des Caraïbes et d’Amérique du sud, où l’homosexualité est passible de la prison à perpétuité*, un cas unique dans les Amériques. Au détour d’une interview, Dillon nous explique pour quelle raison il se voit en l’héritier de Cheddi Jagan, la figure emblématique et tutélaire de la sociale-démocratie de son pays et quels sont les changements qu’il appelle de ses voeux, en toute intersectionnalité politique.

76crimes : « Parle-nous un peu de toi. »
Dillon Mohamed : « J’ai presque 30 ans et j’ai vécu toute ma vie dans ma ville, à Georgetown, la capitale de mon pays le Guyana. Ce pays m’inspire énormément, toujours, tout le temps et je ne me vois pas vivre ailleurs. Je suis un fervent admirateur de la diversité ethnique et sexuelle de mon pays, parce que je suis métis et gay et j’ai eu la chance de vivre avec un père indien et une mère noire qui m’ont transmis leur héritage culturel respectif.
Après le lycée où j’ai fait mes classes de français, j’ai été étudier le théâtre et les arts dramatiques avant d’obtenir une licence en théologie protestante. Aussi, je suis très reconnaissant d’avoir grandi dans un milieu libre et urbain qui a pu favoriser mon parcours initiatique et éclectique dans la vie.
Aujourd’hui, spirituellement, je suis devenu omniste** et professionnellement, je suis devenu contrôleur aérien et pour tout dire, rien ne me prédisposait à cela dans la vie, si ce n’est ma curiosité. C’est elle qui m’a permis de devenir l’adulte indépendant que je suis à présent, sans renier mon héritage ».

76crimes : « Comment êtes-vous devenu un militant politique et un militant en faveur des droits des personnes LGBTI, dans votre pays ? »
Dillon Mohamed : « J’ai d’abord commencé à militer en faveur des minorités sexuelles et de genre, car je suis moi-même gay. La législation du Guyana qui prévoit des peines d’incarcération, en cas de pratique sexuelle orale ou anale est juste une aberration. Et même si ce corpus répressif n’est plus appliqué, il demeure en raison de l’absence de consensus de la classe politique et de l’opposition farouche des fondamentalistes religieux.
Toutefois, il y a eu des avancées, parce que des gens comme Cathy Hughues ou moi s’impliquent dans des partis politiques pour dire qu’on existe et qu’il faut changer de société, si l’on veut être traité en tant que citoyen à part entière.
En outre, sous la présidence de Granger entre 2015 et 2020 il y a eu des avancées notables, avec la dépénalisation du travestissement en novembre 2018 et l’organisation de la première marche des fiertés dans l’histoire du pays, la même année.

Plus largement, les questions politiques d’égalité au Guyana me tiennent à coeur, car la mosaïque sociale, ethnique (chinois, indiens, afro-descendants, amérindiens, européens) sexuelle et religieuse du pays ne se reflète pas dans l’économie, l’emploi ou la propriété du capital.
C’est pour cela que j’envisage un jour de briguer la magistrature suprême du pays, en devenant le premier président gay du Guyana, même si je suis conscient que ce n’est pas du tout pour tout de suite. Pour l’heure, la corruption, le clientélisme ethnique ou la haine raciale, voire l’homophobie tiennent encore une grande place et servent d’outils de gestion de régulation sociale.
Pourtant nous sommes un grand pays pétrolier, mais beaucoup de fonds sont alloués à subventionner des investissements privés peu productifs, alors que l’inflation mine le pouvoir d’achat et que l’État-providence reste le grand absent des politiques publiques.
Or, mes valeurs spirituelles me poussent à considérer que la vie requiert de respecter des équilibres et aujourd’hui au Guyana, dans la jeunesse, il y a une vraie demande d’égalité sociale qui répond à une économie qui produit des inégalités, au détriment des populations noires, amérindiennes, LGBTI ou d’ascendance mixte ».
76crimes : « Parallèlement à votre engagement en faveur des minorités sexuelles et de genre, comme vous l’évoquez, vous avez un fort ancrage et engagement spirituel, pourriez-vous en parler davantage ? »
Dillon Mohamed : Avec le soutien du directeur exécutif de la Society Against Sexual Orientation Discrimination (SASOD), Joel Earl Simpson, on a pu mettre en place le dimanche 5 janvier 2020, la première assemblée chrétienne inclusive et ouverte aux personnes LGBTI, sans discrimination, sous la dénomination de Hope of Christ United Anglo-Catholic Church. A l’époque, cela a soulevé un tollé à travers le pays, mais depuis la tension est retombée et entre temps, il y a eu la covid-19.
La pandémie, puis le confinement, ont eu raison de la motivation de nombre d’entre nous. La covid-19 a tout désorganisé et beaucoup de gens ont été occupés à travailler et à survivre après avoir été privés d’activités économiques durant plusieurs mois. Certains ont même quitté le Guyana pour pouvoir trouver des opportunités économiques ailleurs, quand les frontières se sont rouvertes. Enfin, le départ de notre pasteur de l’église, après le confinement, a été très préjudiciable à la poursuite de notre activité religieuse. Donc pour l’heure, on peut dire que notre église est en sommeil. De plus, la jeunesse tend de plus en plus à se séculariser. Toutefois, je continue à faire des répétitions au piano en chantant des louanges à Dieu, parce que c’est ce que j’aime.

*Le code pénal guyanien de 1893, dans sa version amendée de 2010, dispose à l’article 353 que « quiconque commet la sodomie, soit avec un être humain, soit avec un autre être vivant, est coupable de crime et passible de l’emprisonnement à perpétuité. »
**L’omnisme est la reconnaissance de toutes les croyances et de toutes les religions, ainsi que de leur Dieu et/ou figures/entités vénérées.
Articles précédents portant sur la Caraïbe anglophone :
- Jamaïque / Canada : portrait d’exil avec Dieudonné Marrero (Caribbean Interfaith Network), 2 janvier 2023, 76crimesFR.com
- Des signes de progrès en Jamaïque violente, homophobe, 3 décembre 2014, 76crimesFR.com
Autres articles portant sur le plateau des Guyanes :
- Guyane française : « 500 euros, le prix de ma vie! » (18 avril 2022, 76crimesFR.com)
- Guyane française : Un membre de l’équipe de 76crimes menacé de mort à Saint-Laurent-du-Maroni -interview- (11 avril 2021, 76crimesFR.com)
- Moi, lesbienne de Guyane (22 octobre 2019, 76crimesFR.com)
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