Le 03 Mars dernier, l’homme politique sénégalais, Ousmane Sonko, opposant à Macky Sall (le président en place), a été convoqué par la justice de son pays, dans le cadre d’une audition, pour des faits allégués qui s’ils s’avéraient vrais, sont d’une gravité extrême : viols et menaces de mort répétés sous l’emprise d’armes.
La plaignante serait une employée d’un salon de beauté de Dakar, âgée de 20 ans. Tandis qu’Ousmane Sonko, lui, plaide une machination politicienne machiavélique, destinée à l’éloigner du pouvoir. Depuis que ce scandale a éclaté, il n’a de cesse que de clamer son innocence.
Depuis le 08 Mars il est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire et pour l’heure sa culpabilité n’a pas été établie.
Pendant ce temps, les rues de Dakar et des autres villes du Sénégal s’embrasent et l’on compte déjà près de 8 morts, consécutifs à des échauffourées avec la police et des supplétifs non-identifiés qui coopèrent avec les forces de l’ordre.
Interviewé, Souleymane Diouf (pseudonyme), le responsable du Collectif Free du Sénégal (ne pas confondre avec le mouvement éponyme à l’avant-garde des manifestations au Sénégal : « Free Sénégal »), nous livre ses ressentis et ses analyses des évènements en cours, à partir de son regard de militant gay, dans un pays où l’homosexualité est toujours pénalisée.
Pour aider le Collectif Free du Sénégal : https://www.collectif-free-senegal.org/faites-un-don/
Pour soutenir la pétition en ligne du Collectif Free du Sénégal en faveur d’un Sénégal inclusif et sans discrimination : https://allout.lgbt/senegalhumanrightsfrfbo
Propos recueillis au téléphone par Moïse MANOEL, le 07 Mars 2021.
1. Peux-tu nous dire ce qui se passe ?
« Le gouvernement et l’opposition ne se font plus mutuellement confiance. Il y a des accusations de partialité de la justice. Il y a un soupçon d’une justice politique qui empoisonne un peu le fond de l’air ambiant au Sénégal. Ce climat est propice à certains groupes politiques qui essaient de tirer leur épingle du jeu du chaos et de mécontentement actuel en soufflant sur les braises, à la fois du nationalisme, du panafricanisme et de l’homophobie. Toutefois, quand l’on fait les décomptes des pillages et des destructions des biens publics et des entreprises, ce sont surtout les sénégalais qui en paient les pots cassés collectivement, alors que la pandémie liée à la COVID-19 fait toujours rage dans un contexte économique qui lui était déjà morose.
Les affrontements entre les forces de l’ordre et l’opposition ont montré au grand jour ce que l’on savait déjà et que l’on avait déjà dénoncé dans une tribune précédemment, à savoir l’existence d’une police officieuse armée et illégale, qui vient en appui des forces de l’ordre pour réprimer les manifestants, parfois à balles réelles. C’est une situation extrêmement grave, car ce sont des individus non-identifiés. Dans la chaîne de commandement de la police, on ne sait trop bien à qui ils rendent des comptes. En tout cas, il y a eu des morts. Le sang des sénégalais a coulé et le pouvoir actuel qui est de plus en plus impopulaire devra en rendre des comptes.
Beaucoup dissertent quant à l’impopularité de Macky sall, mais en réalité, c’est l’existence d’institution parallèle et illégale en dehors de tout encadrement juridique qui nourrit la défiance entre Macky Sall et le peuple sénégalais. Du même coup, cela accrédite l’idée d’un complot de ourdi depuis le palais présidentiel, destiné à briser Ousmane Sonko et à le liquider politiquement ».
2. On a vu aussi des gens s’en prendre aux intérêts français, pourquoi ?
« Certaines personnalités de l’opposition et des personnalités opportunistes ont crû bon se servir du contexte troublé actuel pour s’en prendre à la France, sous des motifs divers et variés : franc CFA, prises de position d’Emmanuel Macron relatives au droit au blasphème en France, rejet des caricatures de Mahomet, rejet de la « théorie du genre » ou d’une hypothétique légalisation de l’homosexualité au Sénégal, sous la houlette de l’Occident etc… Ce sont des discours démagogiques voire faussaires qui visent à tirer profit de façon opportuniste d’un mécontentement populaire, afin de conférer davantage de visibilité à un discours islamiste qui se pare d’un ersatz de panafricanisme de circonstance.
Le panafricanisme et les idées de Thomas Sankara n’ont rien à voir avec les destructions du mobilier public de la ville de Dakar. Le panafricanisme n’a rien à voir non plus avec les destructions de véhicules privés et de magasins Auchan employant essentiellement des salariés sénégalais. Des gens cherchent à donner un habillage politique à des pratiques qui ne sont rien d’autres que du pillage et du saccage. Les idées de Thomas Sankara n’ont rien à faire dans les querelles entre l’opposition et le président Macky Sall.
Depuis 2012, les sénégalais ont déjà voté à deux reprises en faveur de Macky Sall. A présent, si l’on est mécontent, il nous convient de nous exprimer à nouveau de façon citoyenne et dans les urnes. Mais au sein du Collectif Free, nous ne sommes pas d’accord avec cette forme de citoyenneté insurrectionnelle, qui vise à propager, la haine de l’Occident, l’homophobie ou la destruction des biens d’autrui.
Le Sénégal n’est pas une île isolée et le reste du monde nous regarde. Par ailleurs, dans le cadre de la mondialisation on a besoin de tout le monde, surtout quand on est un petit pays en voie de développement et à ce sujet, il faut que les gens sachent raison garder. On ne peut pas vouloir diaboliser l’Occident et vouloir s’y rendre coûte que coûte, en même temps. Les Sénégalais se doivent d’être cohérents ».
3. Quel message aimerais-tu faire passer ?
« Le combat du Collectif Free, c’est de demander un retour à l’état de droit au Sénégal, afin de garantir l’exercice des libertés. Le hashtag #FreeSénégal, c’est pour la paix et la non-violence, rien d’autre.
Concernant l’opposition ce qu’on aimerait faire passer comme message, ce que l’on n’a pas besoin de faire brûler notre pays, pour créer un rapport de force. Or, la désobéissance civile n’est qu’un vecteur pour l’opposition afin d’instrumentaliser la jeunesse, uniquement pour régler ses comptes avec Macky Sall. C’est pour cela qu’aujourd’hui, l’on demande à l’opposition de ne pas faire couler le sang de nos enfants.

Ensuite, sur le fond, nous ne sommes pas dupes et la situation actuelle ne saurait être assimilée à un printemps des libertés, car Jamra et les organisations homophobes sont du coté d’Ousmane Sonko, dont le positionnement politique est islamo-conservateur. Aujourd’hui comme jamais, le Collectif Free rejette le projet islamiste et liberticide d’un Sénégal obscurantiste et replié sur lui-même. Dans le cadre d’un monde globalisé notre pays à besoin d’un vrai partenariat durable soutenable et équitable aussi bien avec l’Occident qu’avec la Chine.
Concernant l’Etat sénégalais, l’on observe que la question des milices revient sur le devant de la scène. Or, on pensait avant que cela ne concernait que les groupes religieux mourides de Touba, mais l’on constate en matière d’état de droit que le gouvernement ne fait guère mieux. A ce sujet, nous aimerions que l’Onu intercède afin de faire disparaître ces milices qui tôt ou tard constitueront un péril pour nos libertés publiques.
Enfin, nous demandons à ce que le régime de Macky Sall, cesse d’utiliser la rhétorique antiterroriste afin de ménager le silence de l’Occident sur ce qui se passe. Les gens qui défilent dans les rues ne sauraient être assimilés à des kamikazes et nous demandons à l’Etat sénégalais de revenir à la raison. Ce que les Sénégalais réclament, ce sont juste des gendarmes qui fassent barrage à ceux qui tirent sur la population.
Plus que jamais, nous appelons les Sénégalais au calme et nous appelons les forces de l’ordre à plus de retenue et au respect des droits humains ».
Les personnes et organisations souhaitant contacter le Collectif Free du Sénégal peuvent écrire à l’adresse de courriel suivante : contact@collectif-free-senegal.org.
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