Afrique subsaharienne

La vie LGBTI s’améliore au Cameroun homophobe

Data collected by the advocacy group CAMFAIDS shows a drop in arrests and imprisonments of LGBTI people in 2013 and again in 2014. (Chart courtesy of Camfaids)

Les données recueillies par l’association militante CAMFAIDS montre une baisse dans les poursuites, les affaires jugées, et les condamnations des personnes LGBTI à Yaoundé, au Cameroun, en 2013 et encore en 2014. (Graphique de CAMFAIDS)

Au Cameroun, le nombre de poursuites et condamnations envers les personnes LGBTI a fortement chuté après des années de travail acharné par des activistes locaux, particulièrement deux avocats qui plaident pour la reconnaissance des droits humains des personnes LGBTI depuis de longues années.

Le Cameroun n’a pas abrogé la loi 347 bis, qui prévoit jusqu’à cinq ans de prison pour l’intimité entre personnes de même sexe, mais cette loi est beaucoup moins fréquemment utilisé contre les LGBTI camerounais pour les cibler simplement parce qu’ils sont homosexuel ou lesbienne.

Dans son rapport annuel pour 2014, l’association militante CAMFAIDS (Cameroonian Foundation for AIDS) a rapporté que les poursuites des personnes LGBTI à Yaoundé ont chuté de 58 pour cent de 2012 à 2014. Pendant cette même période, le nombre de condamnations des LGBTI a tombé de plus — de 16 à 4.

Table of data collected by the advocacy group Camfaids shows a drop in prosecutions (

Tableau des données recueillies par l’association militant CAMFAIDS montre une baisse dans les poursuites, affaires jugées et condamnations des personnes LGBTI à Yaoundé, au Cameroun, en 2013 et encore en 2014. (Graphique de CAMFAIDS)

Me Alice Nkom, l’une des deux avocats camerounais les plus actifs dans la défense des accusés LGBTI, a déclaré qu’une baisse similaire a eu lieu dans la région de Douala.

Selon des observateurs au Cameroun, l’amélioration a été causée par:

  • Me Michel Togué (Photo de Global Rights)

    Me Michel Togué (Photo de Global Rights)

    L’intervention par un avocat après chaque arrestation. (À Yaoundé, la plupart de ce travail est effectué par le cabinet d’avocats de Me Michel Togué, jusqu’à la fin de 2014, payé par une subvention reçu par CAMFAIDS, et à Douala et de temps en temps à Yaoundé aussi, par Me Alice Nkom.)

  • Le plaidoyer pour chaque personne LGBTI arrêtée et pour les droits humains des LGBTI camerounais en général par plusieurs associations LGBTI camerounaises, le défenseur de la santé CAMNAFAW, plusieurs institutions internationales, et même ce blog, Erasing 76 Crimes.
  • Le plaidoyer et les interventions des représentants des ambassades occidentales.
  • Des engagements non publiés par certains juristes et responsables du gouvernement camerounais pour améliorer la situation des droits humains dans le pays.

Actuellement, Me Togué dit avoir «  l’impression que les officers de police evitent de cibler cette infraction dans leurs enquêtes » . 

Serge Douomong Yotta, directeur executif d'Affirmative Action à Yaoundé

Serge Douomong Yotta, directeur executif d’Affirmative Action à Yaoundé

Serge Douomong Yotta est d’accord. Le directeur exécutif d’Affirmative Action, une association qui lutte contre le VIH/Sida auprès des LGBTI à Yaoundé, il  dit:

« En 2015, tout donne à croire qu’on va dans le bon sens. En effet, on parle de moins en moins d’incarcération. J’ai eu connaissance de quelques cas qui se seraient soldés au niveau des commissariats » . 

Me Togué dit que contrairement au passé, les cas des accusés LGBTI ne concernent plus l’homosexualité en tant que telle, mais d’autres infractions — « parfois c’est l’outrage à la pudeur sur mineur, parfois vol  » .

Pourquoi ce changement?

« Je peux me tromper, mais je pense que de plus en plus il est peut-être question pour les hommes de lois de montrer la tolerance même si cela ne se vit pas par les concernés » , Me Togué dit. « Question peut-être de faire echec à nos diverses denonciations qui embarrassent les autorités politiques » .

Eitel Ella Ella, directeur executif de CAMFAIDS (Photo de CAMFAIDS)

Eitel Ella Ella, directeur executif de CAMFAIDS (Photo de CAMFAIDS)

Eitel J. Ella Ella, directeur exécutif de CAMFAIDS, n’est pas certain que des responsables du gouvernement camerounais travaillent dans les coulisses pour améliorer la situation des droits humains dans le pays. Dit-il:

« En ce qui concerne les représentants nationaux, aucune action propre et spécifique n’a encore été jaugée et vérifiée sur le terrain. Jusqu’à présent, des discours publics et des promesses  sont faits sur l’arrêt définitif des personnes LGBT, mais concrètement rien n’est fait, du moins que la CAMFAIDS ait été informé » .

Selon lui, les principales raisons pour une diminution du nombre de personnes au tribunal et en prison en Yaoundé à cause de la loi 347 bis sont:

  • L’efficacité des interventions du cabinet d’avocats de Me Michel Togué après chaque interpellation.
  • Le plaidoyer et le travail d’assistance juridique et de sensibilisation des associations identitaires telles que CAMFAIDS, Humanity First Cameroun,  Affirmative Action, Cerlhudus (une nouvelle association identitaire créée en 2014), Lady’s Cooperation et une autre association.
  • Le travail acharné des institutions internationales telles que Avocats sans frontières suisse et REDHAC (le Réseau des défenseurs des droits humains de l’Afrique centrale).
  • Les publications d’Erasing 76 Crimes.
  • Le travail et l’engagement non publié des représentants internationaux tels que l’ambassade de France, l’ambassade des Etats-Unis, ONUSIDA (le programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA), et le Fonds Mondial (Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme).

Pour Me Nkom, l’amélioration des vies des camerounais LGBTI a été une lutte de plus que 10 ans.  Elle était la première avocat à s’impliquer ouvertement dans la cause des LGBTI et elle reste la défenseuse la plus bien connue à l’étranger des droits humains des LGBTI au Cameroun. Dit-elle:

Alice Nkom , co-fondateur de l'Association pour défendre les homosexuels ( ADEFHO ) au Cameroun (Photo de ChangingAttitude.org.uk ) Avocat camerounais Alice Nkom a été menacé de violence en raison de sa défense juridique des clients LGBT.

Me Alice Nkom, co-fondateur de l’Association pour défendre les homosexuels ( ADEFHO ) au Cameroun. Me Nkom a été menacé de violence en raison de sa défense juridique des clients LGBTI. (Photo de ChangingAttitude.org.uk )

« La question homosexuelle dont je m’occupe au Cameroun depuis une dizaine d’années est désormais mondialement connu.

Je le fais à la fois comme avocat et comme défenseur des droits de l’Homme au sein de plusieurs associations crées à cette fin et conformément à la stratégie que j’ai cru devoir mettre en place pour réussir à atteindre mon objectif de dépénalisation par voie judiciaire de l’homosexualité.

J’ai salué l’arrivée sur le champ de bataille de tous ces jeunes défenseurs des LGBT, si courageux, que j’appelle « mes héros » et qui me permettent de travailler activement et avec un maximum d’efficacité sur la dernière étape judiciaire du combat au niveau de la Cour où j’ai associé des avocats internationaux de renom, çà l’instar de Me Saskia Ditisheim, du Barreau de Genève, et par ailleurs Présidente d’Avocats sans Frontières Suisse; mais aussi le cabinet Clifford Chance, et l’ONG londonienne Human Dignity Trust avec ses célèbres avocats internationaux Jonathan Cooper, Téa Braun et quelques autres à venir.

A côté de cet aspect visible et spécialisé de notre attelage, nous avons obtenu le soutien sans failles des puissances occidentales particulièrement attachés à la défense des droits de l’Homme et qui mettent un accent appuyé pour les droits des LGBT . Ces puissances étrangères nous sont très utiles et nous soutiennent en faisant passer des messages là où on nous ferme assez violemment la porte au nez.

Certaines activités se font au grand jour, et parfois très bruyamment, tandis que d’autres ne supportent ni publicité, ni bruit et n’en sont que plus efficaces pour faire avancer notre cause.

C’est donc tout cet orchestre qui, chacun avec son instrument, permettra de produire ce beau concert ».

Tolérance pour les personnes LGBTI se propage de Douala et de Yaoundé vers l’extérieur du pays , dit-elle.

« Je vous indique que les arrestations ont commencé à baisser à Douala, et les procès se sont raréfiés à Douala parce que je reside à Douala où mon combat acharné est connu et redouté de tous… J’y exerce des actions de veille et d’éveil en permanence.

Il est normal que la tendance se poursuive sur tout le territoire du Cameroun, et s’arrête également à Yaoundé où tout cet orchestre cité plus haut se produit avec la même détermination pour sortir les droits des LGBT de la repression à la protection legales.

C’est la mission que je me suis fixée depuis 2003, date de la création de ADEFHO (Association pour la Defense de l’Homosexualité), enregistrée comme telle à la Préfecture du Wouri à Douala, à mes risques et périls.

Je reste ouverte à tous ceux qui veulent apporter des idées et des actions constructives à cette cause qui a besoin de tous, et plus encore, pour sortir l’homosexuel du ghetto et en faire un citoyen à part entière au Cameroun » .

Logo d'Alternatives Cameroun

Logo d’Alternatives Cameroun

Selon Yves Yomb , directeur exécutif d’Alternatives-Cameroun à Douala, une association de la lutte contre le Sida et pour les droits humains des personnes LGBTI, les cas d’arrestation de personnes LGBTI ont considérablement diminué. « Il n’existe quasiment pas de cas de personnes en LGBTI en prison à Douala » , dit-il.

Selon Patience Mbeh, chargée de section LGBTI du REDHAC, l’amélioration « est possible » dans les grandes villes du Cameroun, mais parmi les 10 regions du pays «  à notre connaissance plusieurs présumés homosexuels croupissent dans les prisons dans les zones rurales (Edéa où nous avons les preuves), sans même avoir une assistance judiciaire » .

Eric Lembembe

Eric Lembembe

Néanmoins, le Cameroun est différent maintenant qu’en 2012 et 2013.  On se souviendra que l’activiste Eric Lembembe a été assassiné et  Roger Mbede, qui a été emprisonné pour un message texte amoureuse, est décédé plus tard à la maison de sa famille sans soins médicaux, quand une foule violente a envahi une célébration de la Journée internationale contre l’homophobie, quand les homophobes du  Rassemblement de la jeunesse camerounaise ont défilé dans les rues de Yaoundé, quand le bureau de Me Togue a été cambriolé et un pyromane a attaqué Alternatives-Cameroun.

À l’Affirmative Action, Serge Douomong Yotta constate « qu’il y a de belles évolutions au Cameroun » .  Selon lui, ces nouvelles donneront « un image positive et progressiste de la situation des arrestations des LGBT au Cameroun » .

En plus des interventions par les militants et les avocats, il ajoute:

  • L’efficacité des interventions des deux conseils juridiques recrutés dans le cadre de la mise en oeuvre du projet Round 10 VIH exécuté par CAMNAFAW  [Cameroon National Planning Association for Family Welfare, qui lutte contre le VIH/Sida] en l’occurrence de Me Togué et Me Jathan Ndongo. A plusieurs reprises, Me Ndongo par exemple a effectué des médiations prévenant ainsi les risques d’incarcération des personnes LGBT de la ville.
  • Le développement d’un plan de gestion de risque dans le cadre de la mise en oeuvre du projet Round 10 VIH exécuté par CAMNAFAW qui décrit un ensemble d’interventions pouvant aider les LGBT à éviter les risques pouvant les conduire vers une arrestation
  • Les actions communautaires des organisations identitaires de la ville de Yaoundé, en l’occurrence Humanity First Cameroon, Affirmative Action et Lady’s Cooporation qui mettent en oeuvre divers projets visant à sensibiliser leurs pairs  et qui sont elles aussi en contact permanent avec les responsables diplomatiques.

Yves Yomb d’Alternatives Cameroun ajoute:

Les causes de cette diminution a mon avis sont du à:

1) A l’intervention des avocats qui travaillent pour défendre ces cas notamment: Me Togue et les autres avocats de son cabinets, Me Nkom, Me Saskia [Ditisheim] de Avocats sans frontières Suisse qui s’est aussi beaucoup mobilisée sur les cas d’arrestation au Cameroun.

2) Au plaidoyer fait depuis des années par la plupart des associations identitaires au Cameroun (Alternatives Cameroun, ADEFHO, Camfaids, Humanity First, Affirmative Action) qui depuis 2007 travaillent activement pour la dépénalisation des pratiques sexuelles entre adultes consentants de même sexe.

3) A la mobilisation internationale qui a su mettre un focus sur le Cameroun, mettant ainsi le autorités camerounaises sous les feux des critiques, ce qui les a parfois obligés à réagir.

4) A la diplomatie silencieuse de certaines chancelleries qui ont mis la question des droits des LGBTI au centre de leur agenda diplomatique quand il fallait aborder la question des droits de l’homme au Cameroun.

5) Au fait que certains programmes d’aide donc beneficie le Cameroun ont commencé à mettre sur la table de négociations de ces aides la questions des droits de l’homme y compris les droits des LGBTI.

Malgré l’amélioration de la vie LGBTI dans les grandes villes du Cameroun, au moins en ce qui concerne les arrestations et les emprisonnements, des grands problèmes persistent.

Un nombre inconnu de prisonniers LGBTI restent dans les régions rurales, même si à Yaoundé, selon Me Togué, il n’y a qu’une lesbienne imprisonnée, non seulement pour le lesbianisme en tant que tel mais aussi pour l’outrage à la pudeur sur mineur.

Mgr Samuel Kleda (Photo de Franziska-aachen.de)

Mgr Samuel Kleda, archevêque de Douala (Photo de Franziska-aachen.de)

Le nouvel Archevêque de Douala, Mgr Samuel Kleda, ne suit pas l’exemple de compassion du pape François. Comme le cardinal camerounais Christian Tumi, il appele à la guerre contre l’homosexualité, constate Me Togué.

Le harcèlement  des personnes LGBTI au Cameroun continue. Il y a un mois, le président de Humanity First Cameroon, Jules Eloundou, a été séquestré et arnaqué  par un gendarme à l’aéroport de Yaoundé-Nsimalen à son retour d’un séjour en Europe.

Le 22 juillet, la brigade de Mendong à Yaoundé a arrêté un homme sur des soupçons d’homosexualité. Ils ont voulu l’obliger à faire un examen anal, mais il l’a refusé.

« Non, le Cameroun n’est pas devenu plus tolérant » , dit Yves Yomb d’Alternatives-Cameroun:

« Si les cas de personnes LGBTI en prison ont diminué, il n’en demeure pas moins que les violations des droits des LGBTI ont muté et l’on rencontre maintenant de nombreux cas de:

  • Arnaques
  • Chantage
  • Guet apens
  • Violences physiques

et ces cas se déroulent parfois avec la complicité des forces de l’ordre (comme cela a été le cas du président de Humanity First à l’aéroport de Yaoundé lors de son retour au Cameroun). Les victimes de ces cas quand ils osent porter plainte à leurs bourreaux, sont plutôt accusés à leur tour d’homosexualité dès lors que ce bourreau met cette question sur la table. Ce qui fait que la plupart des victimes de ces cas souffrent en silence et reportent juste les cas auprès des associations travaillant avec les LGBTI et n’amènent plus les cas jusqu’à la police.

Aussi, les articles des journaux, les prêches religieux continuent à être virulent au sujet de l’homosexualité, contribuant ainsi à braquer la population générale contre cette thématique et à dresser les uns contre les autres » .

À la fin de 2014, lorsque le nombre de prisonniers LGBTI à Yaoundé a tombé presqu’à zéro, le financement à CAMFAIDS pour les visites aux prisonniers et d’assistance juridiques a pris fin. Ces services avaient été pris en charge par l’association française ESTHER.

Au futur, dit Me Togué,  « À defaut d’une cellule de veille, il est difficile de hasarder dans les pronostics.  Pour ce qui est de l’assistance judiciaire avec CAMFAIDS, bien qu’il n’existe plus de fonds, mon cabinet reste en alerte pour tous les cas qui sont signalés » .

À l’Affirmative Action, Serge Douomong Yotta dit:

« Je pense que les mentalités changent. Il y a de gros enjeux en termes de santé sur la prévention et la prise en charge du VIH chez les HSH et les transgenres. Le Fonds Mondial, l’ONUSIDA et le PEPFAR [United States President’s Emergency Plan for AIDS Relief] octroient une assistance technique et financière pour aider le pays à traiter toutes ces populations. Donc de plus en plus les pouvoirs sanitaires et même publics comprennent les différents enjeux d’intégrer les droits humains à la santé.

Mais il faut un peu plus. J’ai été choqué par ce qui est arrivé à Jules [Eloundou]. Des actions ciblées pour dénoncer ce genre de cas doivent être envisagées et portées haut. Mais de façon générale, il y a apaisement » .

6 réflexions sur “La vie LGBTI s’améliore au Cameroun homophobe

  1. A reblogué ceci sur Ruby Pratka – Year of No Fearet a ajouté:

    Je suis maintenant réviseur (bénévole) de la version francophone du blogue antihomophobe 76crimesfr.com. Voici ma première tentative. CE N’ÉTAIT PAS MOI QUI FAISAIT LA RÉDACTION OU LA RECHERCHE ORIGINALE, ça c’est le travail des excellents collaborateurs.

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