Afrique subsaharienne

Militant/journaliste continue d’inspirer 3 ans après son décès

Trois ans exactement se sont écoulés depuis la mort du talentueux journaliste et militant camerounais gay, Stéphane Tchakam. Pour marquer cette journée, 76 Crimes en français fait la réimpression aujourd’hui de l’article commémoratif au sujet de Stéphane Tchakam, écrit par un autre talentueux journaliste et militant camerounais gay, Eric Lembembe, lui-même assassiné moins d’an après la mort de Stéphane.

Stéphane Tchakam: l’Infatigable activiste

Par ERIC LEMBEMBE

Le journaliste et militant gay camerounais a rendu l’âme le 13 août 2012 à Douala des suites de maladie. Il laisse derrière lui de nombreux amis et confrères inconsolables.

« Stéphane est mort ! », annonce une voix au bout du fil. « Lequel ? », répondit l’interlocuteur. «  Stéphane Tchakam ! », « Pardon ? Tu plaisantes ou quoi ? ». Petite scène téléphonique entre Philippe, militant bien connu de la scène gay camerounaise et habitant Douala avec l’un des amis de Yaoundé.

Très tôt, vers 6 heures, ce lundi matin 13 août 2012, c’est le téléphone qui réveille certains, soit par SMS, soit par un rapide appel téléphonique. A l’annonce d’une telle nouvelle, le sommeil disparaît. Il faut absolument en avoir le cœur net. Coups de fil ci et là. Un tour sur le web, notamment que Facebook où Stéphane Tchakam était constamment en ligne. La nouvelle est très vite confirmée. «Tara » ou « Pa’a Cha », comme l’appelait ses nombreux amis gays de Douala et partout ailleurs, est effectivement décédé.

Ce jour, amis, connaissances, confrères et parents prennent d’assaut  la morgue de l’hôpital général de Douala où le corps du talentueux journaliste a été déposé. Certains ont les visages défaits, les regards perdus dans le vide…d’autres inconsolables, pleurent. L’homme aux milles casquettes s’en est allé. Journaliste,  homme de culture, activiste, militant de la cause LGBTI en Afrique en général et au Cameroun en particulier, Stéphane se reposait à Douala,  suite à un repos maladie de 15 jours, après une hospitalisation pour un accès palustre et une anémie sévère. Ledit repos médical s’achevait le dimanche 12 août, mais l’état de santé du directeur de la rédaction du quotidien camerounais Le Jour s’était de nouveau dégradé un jour avant. Transporté d’urgence à l’hôpital général de Douala, Stéphane Tchakam rend l’âme vers 5h30 lundi matin. Plus tard, dans la journée, la dépouille mortuaire est acheminée à Yaoundé où vit la famille du défunt.

Journaliste de talent et infatigable militant gay

Denis Nkwebo, l’un de ses collègues du journal Le Jour est sous le choc: « C’est tout le monde qui est touché. Stéphane a été d’un grand apport pour ce journal, pas seulement en tant que directeur de la rédaction. Mais aussi et surtout en tant que journaliste et grand reporter. Par sa présence, beaucoup d’enfants ont aimé le journalisme et ont développé de plus en plus de passion pour ce métier. Il donnait un coup de main à tout le monde ». Aussi bien dans le milieu de la presse camerounaise où il officiait avec talent et brio, que dans les cercles gays, c’est la consternation totale.

Steave Nemande, l’un des cofondateurs d’Alternatives Cameroun, qui l’a connu en 2005 garde le souvenir de « quelqu’un qui avait la joie de vivre et était très cultivé ». « C’est un avocat de 1er rang qui a beaucoup milité pour la cause LGBTI. Il a notamment été parmi les membres fondateurs de l’association Alternatives Cameroun où il était membre du bureau et trésorier pendant de nombreuses années. On le doit l’évolution récente de traitement objectif de la question de l’homosexualité dans la presse camerounaise en particulier dans les journaux où il officiait. C’est une grosse perte pour les militants des droits des homosexuels. Beaucoup de personnes retiendront de lui un personnage très accueillant, chaleureux, qui a toujours apporté son soutien aux plus jeunes ».
Des aptitudes pas de moindres surtout pour les homosexuels du Cameroun qui vivent un environnement très hostile.

En témoigne également Parfait Behen, l’actuel président d’Alternatives Cameroun, autre ami du défunt « Stéphane avait toujours mis sa plume pour l’amélioration des conditions de vie des gays. Une vraie preuve de son courage, surtout dans un milieu délétère aux personnes LGBTI comme le nôtre. Sa perte est une catastrophe pour nous car c’était un monsieur toujours disponible, à qui l’on pouvait sans crainte se confier. Combattant aguerri et osé, cet humaniste ne redoutait de rien. Il est l’un des 1ers journalistes à avoir pris le risque malgré tout ce que cela pouvait lui valoir, d’écrire un article en faveur des homosexuels dans les journaux camerounais notamment dans le quotidien bilingue national Cameroon Tribune et, plus tard dans Le Jour. C’était la voix des sans voix. Son souvenir restera à jamais dans la mémoire des homosexuels camerounais ».

Perte immense

Yves Yomb, autre membre d’Alternatives Cameroun, encore sous le choc, se souvient de ce « grand frère » et « conseiller permanent ». « C’est un pilier dans la défense des droits des minorités sexuelles que nous perdons. Nous nous reposons sur lui pour faire avancer la cause homosexuelle au Cameroun, maintenant qu’il est parti, qu’allons nous devenir ? », s’interroge-t-il. Le combat de Stéphane suscite également l’émergence de nouveaux leaders pour la cause gay. A par exemple à Yaoundé, dans la capitale politique du pays, face à la pandémie du VIH/SIDA et la violation des droits humains, de nouvelles associations s’engagent, Jules Eloundou, président de Humanity First Cameroon parle d’une « perte immense  et  brutale qui nous anéantit », « avec sa casquette de journaliste reconnu sur le plan international, on savait pouvoir compter sur lui.  C’était quelqu’un qui s’assumait de manière ouverte, son combat nous inspire à marcher sur ses pas pour la lutte pour les droits des minorités sexuelles perdure ».

Un autre défenseur de droits de l’homme qui a connu «  Massa » (autre surnom du défunt) depuis près de 10 ans garde le souvenir de ce personnage qui savait faire la part des choses entre sa profession et le combat pour les homosexuels, « lorsque Stéphane écrivait un article sur les questions LGBTI, il le faisait avec une telle hargne, une telle passion qui suscitait de l’admiration au sein de la communauté. Il ne se gênait pas pour dire ce qu’il pense. Je me souviens encore de son article sur le projet des 200 millions accordés par la Délégation de l’Union Européenne au Cameroun au Collectif des associations camerounaises de défense des droits des personnes homosexuelles. Stéphane  était prêt à ce que les choses avancent pour les homos dans ce pays et ceci était particulièrement poignant. Il nous manquera à tout à jamais ».

Repos mérité

Diplômé de l’Ecole Supérieure des Sciences et Techniques et de la Communication (ESSTIC) de Yaoundé, Stéphane Tchakam débute sa carrière de journaliste à la fin des années 90 au quotidien Mutations, ensuite il rejoint le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune. Pendant huit ans, il occupe alors le poste de chef service de la communication pour la division régionale de la région Littoral. En 2009, après son affection à Yaoundé, il démissionne de ce journal pour Le Jour où il officie comme grand reporter pour le Desk de Douala, enfin comme directeur de la rédaction en poste à Yaoundé à partir de janvier 2012.

Journaliste polyvalent, « Tchaky » fera également un tour du côté de la presse audiovisuelle, en 2010 où il coanime sur une chaîne de télévision locale  le talk show « Ce soir ou jamais » et à Nostalgie Fm avec l’émission «Afro Beats ».

Originaire de Bayangam à l’Ouest Cameroun, Stéphane, qui aurait eu 41 ans le 16 décembre prochain, s’est éteint laissant à ses nombreux collègues et amis l’image d’un homme de culture, infatigable travailleur, savant, rigoureux, humble et toujours souriant. « Tara était en même temps un mélange de bonté, de volonté et de simplicité », témoigne l’un de ses amis sur le réseau social virtuel Facebook où une page a été ouverte en hommage à « l’icône » disparu. Sa passion pour la musique et le chant était connu de tous et parfois pas toujours compris ou partagé. Les « œuvres de l’esprit » des artistes africains tels que Rokia Traore, Angelique Kidjo, Pierre Akendengue, Marie Lissom, Kareyce Fotso, Queen Eteme, Charlotte Dipanda, Sally Nyolo, etc. n’avaient aucun secret pour lui.

L’homme de « Sii Teu Tchinlann » (la terre tourne), l’un de nombreuses des citations qu’il affectionnait bien, restera dans les mémoires comme celui qui, disait-il, lui-même : « Si je décède un jour écrivez sur ma tombe : Ici repose celui qui de son vivant ne s’est jamais reposé ». Il le mérite peut être bien. Finalement…

Eric O. LEMBEMBE

2 réflexions sur “Militant/journaliste continue d’inspirer 3 ans après son décès

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