Auteur : Erin Royal Brokovitch
L’auteur de cet article est un militant pour les droits LGBTI au Cameroun qui écrit sous un pseudonyme.
René M., la trentaine, a acheté il y a deux ans un lot de terrain dans la localité de Leboudi située dans le département de la Lékié (région du centre Cameroun), à environ 30 kilomètres de Yaoundé. Depuis qu’il a occupé son terrain, les autochtones s’acharnent à le déloger.
En s’installant à Leboudi, René ouvre un café sur son terrain il y a deux ans. A peine trois semaines d’activité, alors qu’il s’affaire, une meute de 25 personnes arrivant en vague l’agresse en septembre 2012, l’accusant d’être homosexuel.
L’un d’eux qui est à la tête du groupe, se dit présentera comme un policier, en service à la présidence de la république. Ils l’assaillent dans son café.
René est conduit manu militari chez le chef de groupement Leboui. En son absence, la foule l’amène au commissariat de Nkolbisson, à Yaoundé. Motif d’accusation : «Tentative d’homosexualité, et corruption de la jeunesse.» Un homme de 27 ans à qui René donnait des cours de karaté à ses heures perdues a raconté à sa famille d’autochtones que René lui a fait la cour.
Au moment, il n’entend pas les échanges entre l’officier et les plaignants, qui se passent en patois — une langue que René ne maîtrise pas — ceci afin de manigancer des coups et comploter sur son dos. L’officier lui refuse le droit de prévenir ses proches. René passera six jours en cellule, encore au commissariat de Nkolbisson. Il parvient secrètement à prévenir sa maman.
Les dessous de sa remise en liberté démontrent une grosse opération d’arnaque, de tribalisme, de corruption, de malhonnêteté, le tout sur fond d’exploitation du prétexte d’homosexualité.
En effet, après sa libération, René est conduit illico par sa famille presto à son village natal, à l’Ouest du Cameroun. En constatant que René ne présente aucun trouble de comportement, sa maman étonnée, lui révèle la grosse supercherie. Contre sa libération, en effet, la famille d’autochtones l’ayant conduit au commissariat réclame 300,000 FCFA (620 $ US) et exigent que la famille de René signe l’engagement que ce dernier ne revienne jamais à Leboudi.
René dit se souvenir que les échanges entre l’enquêteur et ses accusateurs, étaient essentiellement en Eton, langue locale parlée à Leboudi.
Un ‘démon homosexuel’
De surcroît, l’enquêteur, pour s’assurer que la revendication des plaignants trouve issue favorable, prétend que René est possédé par un démon homosexuel qui l’a conduit à sauter très souvent sur ses camarades de cellule pour les sodomiser. Ce qui est une pure invention mal intentionnée, dit René.
De retour à Yaoundé, René est encouragé par quelques rares voisins de bonne foi, à regagner sa propriété. Pour cela, il est conduit chez le chef de groupement par ces bonnes gens. Le chef, fort de son autorité, le réhabilite effectivement chez lui. Le chef peut être considéré comme un allié, parce que René fait toujours preuve de raison quand on le conduit devant le chef. Il ouvre à nouveau son café.
Croyant ses malheurs derrière lui, René reçoit un an plus tard, en 2013, une notification d’huissier lui signifiant qu’une plainte l’oppose au dénommé Fouda Boniface. Il s’agit du jeune homme de 27 ans qui avait inventé que René l’aurait courtisé. L’audience est programmée pour le mois de Septembre 2013.
Se rendant au tribunal ce jour-là, René et son avocat se rendent compte qu’il n’existe dans les registres, aucune trace de cette affaire au tribunal de première instance où il était pourtant convoqué. D’ailleurs, personne de l’accusation n’est présent. Les bourreaux de René M. auraient-ils tenté de le déstabiliser avec la complicité de l’huissier?
Il observe un répit quelques temps encore. Mais quand au début 2014, deux jeune hommes se lient d’amitié et décident d’aménager ensemble dans la localité, des rumeurs se répandent qu’ils sont homosexuels. Une fois encore, c’est René qui trinque, car c’est lui qui est accusé d’initier ces deux personnes à l’homosexualité.
Une brutalité inouïe
Ses bourreaux resurgissent avec une brutalité inouïe à la période de Pâques, en avril 2014.
La veille de Pâques, l’oncle de Fouda Boniface, par ailleurs sergent-chef dans l’armée, agresse verbalement René M. lui avançant qu’il a appris que ce dernier a perverti les jeunes de la localité. Il lui promet alors de lui faire la peau. Aussitôt dit, aussitôt fait !
Le dimanche de Pâques, le sergent-chef se ramène effectivement, avec une escorte de militaires. Parmi eux, un autre natif de la localité, la cinquantaine, par ailleurs, qui essaiera de monnayer son ralliement à René.
En tentant d’embarquer René de force, un voisin, adjudant-chef dans l’armée, interpelle la conscience professionnelle du sergent face à une telle opération. Pris de honte, il s’en va avec sa suite.
Le lendemain, René décide de porter plainte contre le sergent-chef, à la sécurité militaire (Sémil). Le cauchemar est pourtant loin d’être fini. Le même soir, la meute de personnes débarque encore à son café. Les clients s’enfuient. Ils brandissent machettes, et autres armes blanches. René est tabassé, traîné au sol sur plus de mille mètres, jusque chez le chef de groupement. Un des agresseurs s’oppose d’ailleurs, au passage, à l’idée de le conduire chez le chef, qui est pour lui, «un tintin». Il souhaite que l’on batte René à mort.
Rendus chez le chef de groupement, celui qui avait raconté à ses frères que René lui a fait des avances se démonte. Devant l’insistance de ses frères de démontrer l’homosexualité de René, le chef leur oppose leurs propres écarts de conduite. Il les renvoie. René est soulagé.
Comment comprendre un tel acharnement?
René aura la confirmation de la mainmise de ceux qui lui ont vendu son terrain. En effet, un des agresseurs approche René après. Il s’agit du repris de justice d’environ 50 ans. Il confie à René que c’est en fait eux qui ont monté les agresseurs, car ils veulent récupérer leur lot. Le repris de justice confie par ailleurs à René qu’il s’est embarqué dans cette affaire depuis le début, parce qu’il comptait tirer un intérêt financier. Il demande à René de lui donner de l’argent afin qu’il se range derrière lui.
D’ailleurs, l’on apprendra d’un responsable de cette famille qui requiert l’anonymat, que c’est effectivement les vendeurs de terrain de René qui sont derrière cette opération. Une affaire de partage d’intérêts provenant de la vente de ce terrain.
Toujours est-il que qu’au-delà de ce casse-tête, aux moteurs difficilement explicables, c’est un être humain, dans son droit, qui subit le martyr. Voulant se protéger d’autres attaques, René s’est résigné à fermer depuis quelques semaines son café qui était son gagne-pain.
Il vit aujourd’hui terré dans la peur au milieu de toutes ces personnes au comportement instable, pouvant déclencher les hostilités à n’importe quel moment. A tel point que pour circuler, il évite la voie principale pour emprunter une piste secrète. D’ailleurs, il continue de subir des menaces de ses agresseurs, lui déclarant que l’affaire n’est pas finie et qu’il n’aura la paix, tant qu’il restera à Leboudi.
La situation de René est d’autant plus révoltante que, parce qu’il y a la répression légale vis-à-vis des homosexuels, n’importe quel délinquant devient justicier face à un homosexuel.
Pour le cas de René M., pas moins de deux repris de justice, connus dans tout le village comme tel, se sont constitués comme des «Robin des Bois» devant débarrasser Leboudi du démon homosexuel.
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