Auteur : Erin Royal Brokovitch
L’auteur de ce commentaire est un militant pour les droits LGBTI au Cameroun qui écrit sous un pseudonyme.
Thierry Essamba, coureur du 110 mètres haies, est suspendu depuis le 24 mai 2014, suite à des rumeurs ayant été colportées sur son homosexualité.
Essamba, 29, est un athlète performant qui a réussi tous ses derniers minima (tests) pour participer à toutes les compétitions tant nationales qu’internationales. En 2013, au Championnat d’Afrique Centrale d’athlétisme à Brazzaville au Congo, il a remporté la médaille d’or pour le Cameroun au 110 mètres haies, avec un temps de 15.92 seconds. Il a enregistré son meilleurs temps de 15.15 sec à Porto Novo, au Bénin le 29 juin 2012.
Né en Ngounie au Gabon, Essamba habite Yaoundé, au Cameroun. Il était employé au Ministère du sport et de l’éducation physique.
Depuis quelques mois, des rumeurs se faisaient insistantes sur sa prétendue homosexualité. Rumeurs qui revenaient à ses oreilles et qui étaient, pour une grande part, propagées par un entraîneur de la Fédération camerounaise d’athlétisme.
Pendant plusieurs semaines, en effet, des informations sur une éventuelle sanction qu’il encourait lui parvenaient jusqu’à ce que le directeur technique national (DTN), Michel Nkolo, opère un brutal passage à l’acte le 24 mai. C’était en marge du lancement d’une réunion qui se tenait à Yaoundé. Devant les officiels de la Fédération, les athlètes de tout le pays et le public, ce responsable a infligé «la honte de sa vie» à Thierry Essamba, dit-il. Une grosse humiliation, dit-il avoir ressenti, devant plus de 1000 personnes.
Suspendu
Essamba est alors suspendu de cette compétition du 24 mai, radié de l’équipe nationale d’athlétisme, et interdit de prendre part à toute compétition organisée par la Fédération nationale.
Pour remonter au début de cette campagne de sabotage, quatre athlètes parmi lesquels Essamba, sont soupçonnés d’être homosexuels. Durant une séance d’entrainement au début du mois de mai, des badauds assis sur les gradins traitent l’un des athlètes de «pédé» alors que son entraîneur lui reproche son manque de concentration durant l’entrainement.
Essamba dit ne pas avoir compris l’emballement qui s’est emparé de cet entraîneur par la suite. Ce dernier saisi en effet tous les responsables de la fédération, n’hésitant pas à prétendre que les parents de l’un des athlètes, l’un des plus jeunes, se seraient plaint auprès de lui du fait que Thierry entraîne leur fils dans l’homosexualité. Des faits que l’athlète en question nie de la part de ses parents.
Toujours est-il que ce matin du 24 mai, Nkolo, le directeur technique national, prend la parole avant le lancement de la réunion de Yaoundé pour sanctionner uniquement Essamba. Dans une récente interview, Nkolo a démontré de son acharnement contre la sexualité entre personnes de même sexe.
Nkolo a dit qu’il dénonce depuis quelques mois, certains phénomènes inacceptables au sein du milieu de l’athlétisme camerounais, où dit-il, il a le devoir de cultiver une «moralité irréprochable parmi les athlètes.» Il dénonce ainsi:
- Les athlètes qui se livrent aux pratiques homosexuelles ; et aussi —
- Les athlètes qui usent de substances dopantes ;
- Les encadreurs qui entretiennent des liaisons avec les athlètes ; et
- Les entraîneurs qui marchandent avec les athlètes en les conditionnant à leur verser un pourcentage sur leurs primes.
Au sujet des liaisons amoureuses entre encadreurs et athlètes, tout comme des autres phénomènes, le DTN reconnait que, depuis qu’il est dans la fédération, ceux-ci ont toujours eu cours. Mais ils ont toujours été tolérés.
Comment comprendre dès lors cet acharnement envers l’homosexualité de certaines personnes ? Présumée de surcroît ! Pourquoi s’en prendre à une seule personne ?
Le DTN finit par reconnaître qu’en tant qu’africain, il ne saurait tolérer l’homosexualité. Selon lui, Essamba et non pas des trois autres athlètes inpliqués, fut sanctionné parce qu’il est considéré comme l’instigateur du phénomène, celui qui entraîne les plus jeunes. Une relation d’influence et de domination, que les deux athlètes interrogés des trois autres impliqués contestent absolument ! Ils rassurent au contraire sur le fait qu’ils entretiennent une relation amicale et saine avec Essamba.
Comment comprendre qu’une telle injustice ait libre cours dans l’univers du sport ? Le DTN dit que les responsables de la Fédération soutiennent totalement sa décision.
La vice-présidente, madame Léonie Etong, dont le DTN déclarait qu’elle l’aurait interpellé au sujet de cette rumeur, dit, elle, n’avoir pas connaissance d’une telle sanction. Elle reconnait néanmoins avoir effectivement interpellé le DTN au sujet de ces rumeurs d’homosexualité, afin de savoir ce qu’il se passe. Elle estime, dit-elle, que c’est son rôle d’aviser ceux des responsables qui sont au contact des athlètes des situations qui lui sont signalées.
Est-ce alors un excès de zèle de la part ce de DTN ? Il déclare qu’il a instruit une enquête après avoir été saisi sur ce phénomène. Une enquête instruite auprès de ses réseaux dans la gendarmerie, et au secrétariat d’État à la défense, visant à mettre à nu tous les homosexuels de l’athlétisme camerounais. Il annonce d’ailleurs que l’enquête est toujours en cours, et dit que d’autres têtes vont tomber.
Toujours est-il que le silence des autres responsables de la Fédération est coupable depuis cette sanction contre Essamba. Par contre, le DTN s’enorgueillit d’avoir reçu le total soutient du président de la Fédération nationale.
Est-ce donc cela les valeurs du sport ? La discrimination fondée sur des suspicions ? L’exclusion motivée par le déni de l’autre ?
Quand bien même Essamba serait homosexuel, une quelconque disposition réglementaire préconise-t-elle de telles décisions ? Nulle part dans le Règlement international de l’athlétisme, qui régit l’athlétisme camerounais, on n’a pu trouver une telle aberration.
Les hautes instances du sport, de l’athlétisme au niveau international sont dès lors, interpellées pour rétablir le bon sens, et réparer la grave injustice faite à Essamba.
En effet, doit-on laisser passer le silence, ou la complicité des autorités de la fédération camerounaise, alors qu’un coup d’arrêt brusque fut donné à la longue carrière de 16 ans d’Essamba?
Il y a quelques jours Essamba appelait l’auteur tard dans la nuit pour lui faire part de sa profonde détresse, après qu’il ait appris que ses coéquipiers étaient entrés en stage pour une compétition à venir.
En plus de voir l’horizon de sa carrière bouchée, le pauvre Essambe est aujourd’hui, plongé dans une dépression.
Privé de participer par la faute de l’homophobie
Par la faute de l’homophobie, Essamba est privé de participer entre autres compétitions aux Jeux du Commonwealth de Glasgow en Ecosse au mois de juillet. Dans ces jeux, 41 des 53 pays qui seront représenté là criminalisent l’homosexualité, y inclus le Cameroun.
Le gouvernement écossais a annoncé qu’une Maison de la fierté sera créé à Glasgow pour accueillir les athlètes et visiteurs gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres, pendant les jeux du Commonwealth. Les organisateurs espèrent que la Maison de la fierté aidera au combat de l’homophobie dans le sport.
Mais, pour Thierry Essamba, ça sera trop tard.
Articles connexes de Cameroun, aussi publiés par ce blog
- Pot-de-vin libère 2 LGBTs, qui veulent fuir les dangers locaux
- À la recherche de l’aide aux victimes LGBTI au Cameroun
- Dis ce que tu sais des LGBTI, je te dirais qui je suis réellement !
- Cameroun : célébrations LGBTI dans deux villes
A reblogué ceci sur Agaciroet a ajouté:
Dans un univers professionnel où les performances et le dévouement à la réussite devrait être les seuls considérations, C’est très déplorable et surtout décevant de savoir que l’étiquette de la sexualité d’une personne prime sur tout ce qu’il est capable d’accomplir….Honte à l’homophobie partout !!!
Pingback: Au Cameroun: Cessez les violences contre les LGBTI | 76 Crimes en français
Pingback: Cameroun : un village veut se libérer du ‘démon’ homosexuel | 76 CRIMES
Pingback: Cameroun : un village veut se libérer du ‘démon’ homosexuel | 76 Crimes en français
Pingback: Athlète / victime au Cameroun souffre sans de l’aide | 76 Crimes en français
Pingback: Athlète champion jeté dehors par sa famille homophobe | 76 CRIMES
Pingback: Athlète champion jeté dehors par sa famille homophobe | 76 Crimes en français
Pingback: Cameroun: Coureur le plus rapide, mais exclu parce que gay | 76 Crimes en français
Pingback: Hervé, arrêté au Cameroun en 2016, abandonné aujourd’hui | 76 Crimes en français
Pingback: Cameroun : La purge des présumés homosexuels | 76 Crimes en français
Pingback: Cameroun : Assurez la sécurité de Stenie | 76 Crimes en français
Pingback: New spotlight on anti-gay bias against Cameroon athletes