Afrique subsaharienne

Gabon : « On est las de voir notre droit à une existence paisible remis en cause »

Lors d’un récent droit de réponse publié sur le site d’information en ligne Gabon Review, Jann Halexander, un chanteur, pianiste et auteur-réalisateur franco-gabonais revient sur l’énième polémique distillée par Honorine Ngou, une des voix du mouvement féministe gabonais, qui dénonce le poids de l’ingérence occidentale sur les politiques de l’homosexualité en Afrique, dans un ouvrage paru le mois dernier et intitulé «Homosexualité imposée, Gabon dévergondé».

Pour 76crimes, Jann Halexander a accepté de nous expliquer son droit de réponse, alors que le Gabon est rarement sous les feux de la rampe, en matière de LGBTphobie, en Afrique.

Libreville (@Jann Halexander)

Jann Halexander : « Le livre d’Honorine Ngou, je ne l’ai pas lu, mais le titre donne tout à voir et étant moi-même gabonais, je ne connais que trop le dessein que nourrit un tel livre et j’en suis las.

Il faut savoir que le Gabon vit sous une junte militaire depuis le 30 août dernier et que l’on vit dans une période de transition qui alimente beaucoup d’attente dans la société civile, après 50 ans de règne du clan Bongo père et fils.

Les gabonais se réjouissent de la chute du régime d’Ali Bongo Ondimba (@brazzanews)

L’actuel dirigeant, Brice Clotaire Oligui Nguéma, qui était le chef de la garde prétorienne de l’ancien président, Ali Bongo Ondimba, a été désigné président de la transition, pour acter le changement de régime en cours. Nul sait pour l’heure quand cette transition débouchera sur un retour des civils au pouvoir.

Parallèlement, l’ancien régime avait pénalisé l’homosexualité en 2019, avant de revenir sur sa décision un an plus tard dans des conditions obscures et opaques.

Dans ce contexte au Gabon, dans les milieux dans lesquels j’évolue je n’ai pas connaissance de personnes prises à partie en raison de leur orientation sexuelle et le Gabon semble assez calme en comparaison de ce que l’on voit au Sénégal ou au Cameroun voisin par exemple.

Brice Clotaire Oligui Nguéma ici présent à la COP 28 à Dubaï, le 1er décembre, en compagnie du secrétaire-général de l’ONU, Antonio Guterres et de son hôte, Mohamed Ben Zayed (@presidence_ga)

C’est pour cela que je m’insurge quand je vois des personnes comme Honorine Ngou qui essaie de distiller le poison de la haine et de la discorde autour des personnes LGBT+ au Gabon, alors que les choses ne se passent pas trop mal sous le sceau de la discrétion quand on est à Libreville par exemple.

Aussi, je suis encore plus agacé quand j’entends qu’Honorine Ngou met en avant les traditions locales et l’africanité pour dénier aux personnes LGBT+ un droit à une vie paisible, parce que c’est bien ce dont il s’agit.

Bien sûr, le mariage LGBT+ tel qu’il se décline en Occident n’existe pas ici et ne fait pas partie de l’urbanité dans la société gabonaise. Cela a même été stipulé dans la Charte de la transition publiée au journal officiel le 4 septembre dernier. Néanmoins nous contribuons et sommes partie intégrante à cette société depuis la nuit des temps et il serait hors de question de s’en voir exclure, au nom d’un obscur agenda.

Pour l’heure, les autorités militaires n’entendent pas revenir sur l’acquis de la dépénalisation de l’homosexualité au Gabon et le pays est confronté à de multiples chantiers institutionnels, ainsi qu’à des attentes sociales et matérielles d’une population qui souffre de la hausse des prix ».

Ci-dessous, le droit de réponse de Jann Halexander à Honorine Ngou :

« Mbolo

Je suis votre compatriote, le chanteur franco-gabonais Jann Halexander. Je suis né le 13 septembre 1982 à Libreville, Gabon. Hormis quelques années passées au Canada durant la petite enfance, j’ai vécu jusqu’à 18 ans à LBV, comme on dit. Je garde un lien avec le Gabon, la famille, les cousins, je fais partie de la diaspora. J’ai marché contre les crimes de A.B en août 2016 avec des milliers de gabonais dans les rues de Paris. J’ai 41 ans. Peut-être vous ne me connaissez pas, et c’est sans importance. Je vous découvre à l’occasion d’un article sur Gabon Review, un média de référence qui a souvent relayé mon actualité.

Avant d’écrire un ouvrage comme ‘Homosexualité imposée, Gabon dévergondé’, avez-vous pris le temps de discuter avec des personnes gabonaises LGBT, cela veut dire lesbiennes, gays, bisexuelles, transsexuelles ? Avez-vous pris le temps d’écouter leurs vies, de les fréquenter ?

On peut effectivement déplorer que la dépénalisation de l’homosexualité le 24 juin 2020 ait été votée par un gouvernement contesté et contestable. Il faut toutefois faire la part des choses. On parle d’humains ici. La vie d’un hétérosexuel ne vaut pas plus que la vie d’un homosexuel. Les hétérosexuels ne sont pas supérieurs aux homosexuels. Pas plus que les Blancs ne sont supérieurs aux Noirs et autres bêtises du genre.

Je suis bisexuel, assumé, je n’ai aucun problème avec ça, et je l’ai très tôt dit pour avoir la paix et faire le tri autour de moi. Je n’ai aucun problème avec mon entourage. Qui êtes-vous pour me dire si j’ai le droit d’exister ou pas ? Qui vous a donné mandat ? Qui vous permet de décider de la vie des autres selon votre bon vouloir ou vos convictions personnelles ?  En quoi votre vérité est-elle LA vérité ? Qui vous a donné l’autorisation de contester mon humanité ? Enfin, qu’est-ce qui vous permet de croire que vous êtes plus morale que moi ou quiconque ?

Depuis quand une personne qui se prétend féministe veut pénaliser les relations entre personnes de même sexe ? Ce n’est pas du féminisme, ce n’est pas de l’altruisme. J’ose croire que c’est un manque de discernement de votre part. Après tout, tout le monde a des préjugés, même moi. Mais il y a aussi le réel, le quotidien.  Si vous aviez pris le temps de connaître des gens qui ne sont pas hétérosexuels, vous auriez vu que c’est des gens comme les autres. Il n’y a pas de fléau de l’homosexualité au Gabon. La différence entre maintenant et avant c’est que maintenant les homosexuels sont plus nombreux à le dire ouvertement, à s’affirmer, à se battre, à refuser la honte et a préférer la dignité.

Entendons-nous bien : la plupart des gabonais LGBT veulent simplement vivre leur vie. Le mariage, l’homoparentalité, tout ça, la plupart n’y pensent pas.  Mais un gabonais homosexuel ne deviendra pas hétérosexuel pour vous faire plaisir. L’homosexualité ne présente aucun danger. C’est la haine des homosexuels qui tue. En prétendant que l’homosexualité est un danger, vous vous mettez du côté des assassins, et ils sont nombreux, de l’Ethiopie à la Tchétchénie. J’ai hélas chez moi toute une collection de photos de victimes, de corps mutilés, égorgés, carbonisés parce que leur seul crime était…de ne pas être hétérosexuel. Si vous voulez, je vous les envoie. Sauf si vous aimez le goût du sang, mais alors là c’est une autre histoire.

On ne peut pas être attaché à la démocratie, aux droits humains et vouloir détruire la vie de ses concitoyens, sous prétexte qu’ils ne partagent pas vos valeurs. On ne peut pas lutter contre le machisme tout en méprisant d’autres personnes. Ce n’est pas cela la vie. L’homosexualité fait partie de l’humanité depuis la nuit des temps. Toutes les lois, les stratagèmes mis en places pour nous détruire (car c’est votre but, vous avez le mérite d’être honnête là-dessus) ne marchent pas, ne marcheront pas. Nous sommes là. Ainsi va le monde. Il faut en finir avec le refrain ‘l’homosexualité n’est pas dans notre culture’. Jésus et les grosses voitures ne figurent pas dans nos cultures traditionnelles et pourtant des millions de gabonais croient en Jésus et veulent de belles voitures.

Je suis tout aussi gabonais que vous. Vous n’avez pas le monopole pour décréter qui est gabonais ou qui ne l’est pas. La charte de la transition rappelle que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme. Même si je suis pour le mariage entre deux hommes ou entre deux femmes, je comprends que la société gabonaise ne soit pas à l’aise avec ça.  Du reste, à titre personnel, je ne suis pas marié et je le vis très bien. La charte de la transition rappelle aussi l’importance des valeurs gabonaises, il s’avère que mon père gabonais a fait le job et m’a transmis certaines valeurs. Parmi ces valeurs : il y  a le respect. Je respecte celui qui n’a pas le même avis que moi. Là où je suis vigilant par contre, c’est quand la personne qui n’a pas le même avis que moi veut me forcer à vivre selon ses principes. Cela s’appelle l’emprise. Cela s’appelle : la dictature. C’est contre la dictature que j’ai marché de 2016 à 2023, dès que j’ai pu. Où étiez-vous pendant tout ce temps ? Pouvez-vous simplement foutre la paix aux gens qui ne vous ressemblent pas ? Je ne vous demande même pas d’aimer les homosexuels. Simplement de les laisser tranquille. Et que chacun vive sa vie en tant qu’adultes consentants. D’où vient cette obsession chez vous et certains de vos compatriotes contre les personnes homosexuelles ?

La même charte rappelle la nécessité de respecter les opinions des uns et des autres, comme dit l’article 23 : les libertés d’opinion, d’expression, de conscience et de culte sont garanties. Je précise que j’ai également rédigé ma contribution citoyenne sur la plate-forme du CTRI. J’y rappelais la nécessité de respecter les uns et les autres et de ne pas diviser la société, y compris sur les questions sociétales. Le gouvernement de transition a pris soin de ne pas cibler les minorités de la société gabonaise dans ses nombreuses prises de paroles et montre l’exemple. Il faut une société apaisée. Que proposez-vous ?

Triste monde en 2023, où une personne qui se dit écrivaine, féministe, prend le temps d’écrire un ouvrage pour justifier la mise à l’écart de la société de milliers de gens qui ne vous ont rien demandé. Triste monde où certaines personnes ont besoin de bouc émissaires encore et encore et encore.

Mon espérance ? Je reçois chaque semaine, des messages de gabonais, de gabonaises de tous horizons, hétéros, homos, bisexuels, hommes, femmes. Eux aussi représentent le Gabon. ILS SONT LE GABON. Que les choses soient dites. Je reste un homme de combat, je suis comme la mauvaise herbe, qui pousse et repousse. Mon empathie va à la jeune femme chassée de chez elle parce qu’elle est enceinte trop tôt, mon empathie va au jeune homosexuel de PK8 emmenée de force au village pour être ‘guéri’, mon empathie va à la personne transsexuelle qui se fait cracher dessus. Et vous, comment se porte votre empathie ?

Madame, vous faites fausse route. Les intentions qui vous animent sont sombres. Mais je crois et je sais que le Gabon est plus grand et plus vaste que tout cela ».

Une réflexion sur “Gabon : « On est las de voir notre droit à une existence paisible remis en cause »

  1. Discours très clair et louable . Tu as été plus que précis . Dommage que ce message ne soit pas bien reçu par la plupart de nos compatriotes gabonais . Mais une chose est sûre, jamais on ne cessera de défendre les droits des personnes oppressées .

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