On parle souvent des personnes LGBT+ africaines qui arrivent en Europe ou qui sont en transit au Maghreb, mais on parle assez peu des choix de parcours migratoires de ceux et celles qui choisissent un autre pays de l’Afrique subsaharienne.
Cette année, le Gabon a été sous le feu de la rampe avec une dépénalisation de l’homosexualité survenue de façon inattendue, à la fin du mois de Juin, en plein contexte de crise sanitaire internationale.
Enfin, à l’échelle internationale et y compris au sein de la sphère francophone africaine, le Gabon est un pays qui passe souvent sous les radars de l’actualité médiatique.
L’interview donné à Daniel va être aussi l’occasion de mettre un peu plus ce petit pays côtier du golfe de Guinée, sous les feux des projecteurs.
Propos recueillis au téléphone par Moïse MANOEL, le 19 Novembre 2020.
Présente-toi et dis-moi ce qui t’a amené au Gabon et comment tu ressens l’ambiance sur place, là-bas, en tant que gay immigré africain ?
Je suis un gay de 35 ans, je me prénomme Daniel et je suis commerçant de profession. Je suis camerounais.
Ce qui m’a amené au Gabon, ce sont les opportunités économiques d’abord, car c’est un petit pays pétrolier avec une faible population, proche de mon pays d’origine géographiquement et culturellement.
Ensuite, c’est l’homophobie au Cameroun qui m’a amené à chercher à construire ma vie ici au Gabon, car au Cameroun, l’homosexualité est toujours sévèrement pénalisée.
A Libreville, je me sens plus épanoui que dans mon pays d’origine, bien que j’ai immigré seul et au Cameroun, il ne me reste plus que ma mère.
As-tu entendu parler de l’arrestation de deux femmes le 09 Novembre dernier à Makokou, dans une zone reculée du Gabon ?

A ce sujet, il se dit beaucoup de choses, en tout cas après avoir été placées en garde à vue, elles ont été libérées. Il faut savoir que la compagne de Patricia, Cathy est enceinte de 8 mois.
Néanmoins, cette circonstance ne lui permet pas de bénéficier d’une certaine indulgence de la part des autorités gabonaises. A ce jour, les deux femmes restent poursuivies pour « outrage aux bonnes mœurs ».
Selon le code pénal gabonais, les outrages aux bonnes mœurs sont passibles de deux ans de prison et de 2 millions de francs CFA (3 500 euros) d’amende.

En tout état de cause, il ne s’agissait pas d’un mariage civil légal. Elles mêmes réfutent le terme de mariage bien que des images très équivoques circulent sur les réseaux sociaux…La rumeur parle même de dot.
La vérité semble un peu différente. Cathy s’est engagée à pourvoir à l’éducation de l’enfant à naître de Patricia, car le père biologique du foetus est décédé récemment. Et à travers une cérémonie, elles ont tenu à sceller cet engagement devant un parterre d’invités.

Toutefois, dans le contexte de dépénalisation de l’homosexualité au Gabon, en Juin dernier, avec le retrait de l’alinéa 5 de l’article 402 du Code pénal, les esprits restent fébriles.
Le fait d’arrêter deux femmes célébrant leur union, dans une région aussi reculée que celle de Makokou, est probablement pour les autorités une façon d’envoyer un signal, afin de tempérer les ardeurs et les vélléités des communautés LGBT+ locale.
Selon toi, as-tu observé des évolutions depuis la dépénalisation de l’homosexualité survenue le 23 Juin dernier ?
A présent, c’est tranquille pour les personnes LGBT+ au Gabon. Les autorités sont revenues sur la loi qui il y a un an pénalisait l’homosexualité. La politique au Gabon demeure assez opaque et le pouvoir est concentré entre les mains d’un petit clan familial, comme souvent ailleurs en Afrique.
Des personnalités au sein de l’appareil d’Etat gabonais ont dû se plaindre, car il est insensé que de vouloir pénaliser des gens libres de leur mouvement et de leur corps. Par conséquent, les autorités sont revenues au statu quo ante.
Il y a eu beaucoup d’agressions LGBTphobes envers les minorités sexuelles par le passé, donc c’est peut-être aussi pour le législateur gabonais une façon de se racheter bonne conscience. En tout cas désormais, on se sent moins menacés, à défaut d’être réellement protégés. De plus, à Libreville, la capitale, il y a une très forte communauté LGBT+, ici.
Toutefois, à titre personnel, j’ai été sauvagement agressé il y a 9 mois, quand il y avait encore cette loi scélérate.
As-tu trouvé au Gabon ce que tu cherchais en tant qu’immigré camerounais et homosexuel ?
Non, car il n’y a pas de solidarité entre personnes LGBT+ au Gabon. Au contraire, il y a plutôt beaucoup de xénophobie ici, comme c’est un petit pays riche et pétrolier, à l’échelle du continent africain. Lors de mon agression, par exemple, je n’ai pas reçu le moindre soutien psychologique au niveau de la communauté LGBT+.
Au Gabon, il reste difficile de recevoir quelqu’un chez soi en toute quiétude. C’est un petit pays, avec une faible population et tout le monde se connaît, s’épie et se surveille. Il est difficile d’entamer sereinement une relation dans ces conditions, bien que la communauté LGBT+ soit nombreuse sur place.
Au Gabon, les mentalités sont conservatrices et le régime politique n’arrange pas les choses. Il faut rentrer dans le moule et adopter certains codes, pour ne pas être trop visible. D’ailleurs, à ma connaissance, au Gabon, l’on ne recense que deux associations LGBT+ friendly et elles ne souhaitent pas trop le faire savoir.
J’aspire à vivre dans un pays où je puisse me sentir bien plus libre et heureux. Comme tout le monde, j’aspire à pouvoir me trouver un compagnon et à me marier un jour, mais sous d’autres cieux.