Par Erin Royal Brokovitch
Les personnes transgenres sont de plus en plus visibles au Cameroun, malgré la répression légale de l’homosexualité et des victimes de procès arbitraires très souvent fondés sur l’apparence des personnes au genre different.
NAOMI ET DOLORÈS
Naomi, Dolorès, voilà des noms que les habitants de la ville de Yaoundé au Cameroun ont souvent entendus. Deux personnes dont la réputation va depuis quelques années, bien au-delà de la communauté LGBT. Naomi, de son vrai nom Franky, et Dolorès, de son vrai nom Jonas, défraient la chronique dans les rues de la ville à chaque fois qu’elles paraissent à cause de leur allure efféminée. Vêtements, parures, coiffures, chaque détail de leur tenue vestimentaire est féminin.
Et dans un pays homophobe comme le Cameroun, où non seulement les esprits sont encore hermétiquement fermés à la différence de genre, des personnes transgenres, au look travestie, sont exposées au risque, car on les étiquette automatiquement comme homosexuelles, autre phénomène fortement réprouvé par la société Camerounaise.
Depuis six ans à peu près déjà, il y a un danseur qui s’appelle Willy, une artiste très célèbre au Cameroun, qui se travesti régulièrement de nuit pour aller faire des spectacles et qui se fait remarquer dans les rues et dans les cabarets de la ville.
Au-delà de ça, depuis quelques années déjà, le phénomène des personnes transgenres gagne progressivement du terrain, grâce notamment à ces deux jeunes gens. Et c’est ce qui intrigue et fascine en même temps, chez eux.
Combien de fois elles ont été impliqués dans des bagarres populaires, subi des bastons et agressions à cause de leur identité ? Mais Naomi et Dolorès, tels deux phénix, finissent toujours par émerger avec leur authenticité, bravant les railleries, les regards méprisants, les insultes. Leur quotidien au Cameroun est une épreuve de chaque instant. Mais pourtant, elles ne déviennent pas de ce qu’elles sont, de comment elles se sentent et se représentent dans leurs identités de genre.
Jusqu’aux tribunaux, dans les brigades et postes de police, Naomi, qui est âgée de 25 années, et Dolorès, âgée de 23 années, sont bien connues. Tant, elles ont été gardées à vue maintes fois, traduites devant les tribunaux. On se souvient encore de leur condamnation, en 2011, à cinq ans de prison et 200.000 FCFA d’amende pour chacun (environ 380 $ ÉU), la peine maximale pour pratique homosexuelle selon le code pénal camerounais. Le cours du procès avait fini par démontrer l’amalgame dont peuvent subir les transgenres à cause de la loi, car les motifs reprochés par le juge étaient davantage de l’ordre de l’identité de genre, pourtant inexistante dans la loi camerounaise.
En effet, aucune mention de l’identité de genre, pas plus que du transgendrisme, n’est faite dans le code civil Camerounais. Tout juste l’évocation des sexes masculin et féminin sur les actes d’état civil. Parallèlement, aucune loi du code pénal ne condamne la différence de genre. Et pourtant…
L’on se souvient encore de cette remarque du juge qui avait déclaré à Dolorès que le Baileys, une liqueur qu’elle disait consommer, est une boisson de femme.
Malgré autant d’épreuves, l’estime de soi de ces braves n’a été atteinte. Au contraire, elles forcent l’admiration tellement elles s’assument.
Aujourd’hui, leur contribution, même inconsciente, est immense dans la lutte pour l’affirmation des personnes différentes. Leur visibilité a permis de lever le tabou au Cameroun sur ce phénomène des personnes qui ne se reconnaissent pas dans le genre auxquels les codes sociaux voudraient les enfermer.
Dans sa famille, Naomi a imposé son identité, qui est accepté là. Sa maman accepte qu’elle héberge d’ailleurs des amies, qui sont semblables. Effectivement, Naomi a souvent recueilli ses amies qui étaient rejetées de leurs familles ou qui y vivaient un mal être à cause de leur identité de genre.
Cependant, lors des événements réunissant la grande famille, on leur réserve toujours, à elle et ses amis leur espace. Tolérées oui, acceptées, peut-être apprécierait-on. Toujours est-il que l’on prend acte de cette stigmatisation. Et elle est lourde de sens.
Quant à Dolorès, ça se passe moins bien. Sa famille ne s’est toujours pas résolut à sa condition. Ses frères ont souvent été violents vis-à-vis de lui. Naomi se souvient qu’à une époque, alors que les frères de Dolorès avaient détruits tous les vêtements féminins de ce dernier, et lui imposer d’autres destinés aux hommes, Naomi, est allé rendre visite et le soutenir dans cet épreuve.
Elle se souvient et raconte le scandale que sa venue a causé. La famille de Dolorès a crié au scandale, scandant que Naomi est l’incarnation même de l’abomination. Elle avait alors été prise en embuscade par la famille de Dolorès qui l’a décoiffé et déshabillé.
KEYSHA
En dehors de Naomi et Dolorès, l’on connait aussi aujourd’hui une autre, dénommée Keysha Rosalie.
Son cas est atypique de ceux de Naomi et Dolorès. Keysha en effet, n’est pas un homme qui se travestit. Elle est intersexuée avec quelques caractéristiques d’un homme et quelques autres d’une femme.
Son corps, confie-t-elle, comme elle l’a toujours martelé à ses proches, elle ne le comprend pas.
A l’adolescence, à l’âge de la puberté, et de l’apparition des caractères sexuels différents, elle dit que c’est plutôt les caractères sexuels secondaires féminins qui apparaissent.
En effet, elle raconte qu’elle se souvient de cet après-midi alors qu’elle faisait la classe de 4ème et qu’elle avait consommé des oranges, de retour en classe, elle fait une crise d’hormones par réaction à l’aliment qu’elle avait consommé.
Elle confie : « Mes seins ont commencé à grosser. J’avais anormalement chaud. L’on m’a déboutonné, et l’on pouvait apercevoir mes seins grossir à vue d’œil »
Elle n’a pas le moindre poil de barbe.
Pire, depuis 8 mois, elle soupçonne un phénomène de quelque chose similaire à des règles menstruelles chez elle. A un cycle régulier, du sang lui sort par les narines, sous forme de jet, par la bouche sous forme d’œufs, ou de caillots de sang.
Elle ajoute qu’elle observe toujours systématiquement une augmentation du volume de ses seins si elle consomme de l’orange ou de la bière. Son sexe n’a pas évolué depuis son enfance, pire, elle n’a jamais connu d’éjaculation durant l’orgasme. Elle ressent des vibrations de plaisir, à l’intérieur de son corps, mais pas de manifestation externe.
De l’avis des spécialistes, Keysha a un sexe féminin diffus.
C’est donc avec cette perte de repère par rapport à son identité sexuelle que Keysha vit tous les jours. Elle confie en souffrir énormément, car son corps lui est incompréhensible, voire étranger.
Malheureusement, en l’état actuel de la technique médicale au Cameroun, Keysha ne peut subir de transformation au Cameroun. La technique d’injection d’hormones possible actuellement au pays, ne peut s’appliquer à son cas, puisqu’il est question de permettre que le sexe féminin s’exprime chez elle. Son vœu est de pouvoir bénéficier d’une prise en charge pour une opération chirurgicale dans un pays où cela est possible. Afin, souhaite-t-elle faire des enfants, naturellement comme une femme.
Pour sa famille, Keysha a juste des relations cordiales avec ses frères et sœurs. Elle avait révélé son identité à ses parents avant qu’ils meurent, après que des rumeurs soient parvenues à sa maman qu’elle avait changée de nom. Ses parents ont essayé de consulter les forces des ancêtres pour qu’elle change, mais quelques temps après, ils ont fini par se résoudre à son identité.
Toute sa famille, y compris les cousins, les oncles et tantes, connaissent de son identité de genre. Ses frères et sœurs l’ont accepté, mais le reste de la famille la juge encore.
LEUR VIES
L’autre fait saisissant de ces trois femmes, dans leur propension à s’affirmer, c’est de les voir arpenter les rues de jours comme de nuit, avec leur look féminin, acceptant les avances des hommes.

Keysha Rosalie espère être en mesure de se permettre la chirurgie d’assignation de genre. (Photo de Keysha Rosalie)
Naomi et Dolorès sont coiffeuses, mais toutes les trois sont également portées sur le travail du sexe, de nuit.
Pour gérer leur sécurité, elles disent déjà se déplacer uniquement dans des taxis qu’elles louent et évitent ainsi les transports communs où les chauffeurs ramassent plusieurs personnes au cours d’un trajet.
Lorsqu’on leur demande leur plan de gestion des risques au cas où un client devient violent après la découverte de leur identité sexuelle, elles disent être prudentes. Naomi confie que dans son cas, elle n’accepte pas entrer dans une chambre avec n’importe quel client. Elle évalue le tempérament du client, si c’est une personne qui parait violente ou non. Très souvent, elle donne du plaisir à ses clients avec de simples caresses des parties intimes.
Keysha, à défaut de subir une intervention chirurgicale pour permettre que son sexe féminin s’épanouisse, a déjà procédé au changement d’identité sur son acte d’état civil. Elle a en effet changé de nom. De Major, prénom que ses parents lui ont donné, elle a adopté Keysha Rose Rosalie.
Ceci grâce à son frère ainé, qui lui a fait établir un nouvel acte de naissance.
Cette acte n’a pas été autorisé par la loi camerounaise. Cependant, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2011 a declaré que chaque état devrait adopter une loi pour « faciliter la reconnaissance juridique du genre de préférence des personnes transgenres et de prendre des mesures pour permettre la délivrance de nouveaux documents d’identité faisant mention du genre de préférence et du nom choisi, sans qu’il soit porté atteinte aux autres droits de l’homme. »
L’auteur de cet article est un militant pour les droits LGBTI au Cameroun qui écrit sous un pseudonyme.
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Personnellement, je suis tout à fait contre ces types de personnes, je ne vois pas du tout l’intérêt.
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Bonjour pour moi viver pour vous soyer fière de vous ya toujours des gens qui sont dans la critique gros bisous je suis de tout cœur avec vous mes d’âme
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