Afrique subsaharienne/Commentaire

L’homophobie en Ouganda, une arme politique?

Rédacteur: Nous republions ici l’opinion versée au e-journal WAZA, une voix africaine, il y a quelques jours.  WAZA vous présente un excellent groupe d’opinions.

Des manifestants contre l'annulation de la loi anti-gay, le 11 août, à Kampala (Photo de Isaac Kasamani/ANP via WAZAOnline)

Des manifestants contre l’annulation de la loi anti-gay, le 11 août, à Kampala (Photo de Isaac Kasamani/ANP via WAZAOnline)

Originalement publié au site de WAZA – le 10 novembre 2014- par Thomas Kleinveld

Soulagement au sein de la communauté homosexuelle ougandaise.

Cour constitutionnelle de l'Ouganda (Photo de Maurice Tomlinson / Facebook)

Cour constitutionnelle de l’Ouganda (Photo de Maurice Tomlinson / Facebook)

Le 1er août dernier, la Cour suprême de l’Ouganda annulait la loi contre l’homosexualité pour vice de procédure. Mais la question pourrait réapparaître quand les politiciens auront de nouveau besoin de détourner l’attention des vrais problèmes qui touchent la société.

La Cour suprême de l’Ouganda a estimé, le 1er août 2014, que la loi contre l’homosexualité était anticonstitutionnelle. Le projet de loi très controversé avait été promulgué au début de cette année.

« Lorsque la loi était en vigueur, beaucoup de gens vivaient dans la terreur, dans la peur. Les gens étaient contraints de ne pas se montrer au grand jour. Ils avaient même peur de se rendre dans les services de santé, parce qu’ils ne savaient pas si leur médecin ou leur prestataire de services voulaient les remettre à la police », explique Richard Lusimbo.

Richard Lusimbo (Pohto de CBC.ca)

Richard Lusimbo (Photo de CBC.ca)

Directeur de la recherche et de la documentation en faveur des minorités sexuelles en Ouganda, Richard Lusimbo fait partie d’une équipe de défense des droits des homosexuels.

« Nous avons encore des cas de violations : les parents continuent d’expulser ou de bannir leurs enfants. C’est la même chose qui se passe avec les bailleurs », dit-il. « Mais nous avons également constaté une sorte de changement.  Et les homosexuels, eux-mêmes, sont prêts à sortir en public. Ils se sentent un peu plus détendus et libres. »

« Nous nous sommes tus »

Certes, la communauté homosexuelle peut souffler à nouveau, après avoir vécu en état ​de siège. Mais les conséquences du débat homophobe n’ont pas disparu. La décision de la Cour statuant que la loi était inconstitutionnelle parce qu’elle avait été adoptée en l’absence de quorum n’a pas résolu le problème. Et le silence qui a suivi la décision risque d’avoir des répercussions bien au-delà du droit des homosexuels.

« Comme une douche froide », raconte Patience Akuna, avocate des droits de l’homme et lauréate du prix David Astor de journalisme 2013. « Tout à coup, la Cour déclarait que la loi était anticonstitutionnelle et nous nous sommes tus. Mais les questions demeurent. La loi est tombée à cause d’un détail technique mais la Cour aurait pu débattre du fond. Elle l’a fait par le passé. Cette fois-ci, non. »

« Un mirage pour le reste du monde ? »

En tant que militante des droits de l’homme, Patience Akuna ne soutient pas le projet de loi contre l’homosexualité et ce qu’il a provoqué dans la société ougandaise.

« En tant qu’observatrice, j’estime néanmoins que la question anti-gay a fait de bonnes choses pour l’Ouganda. Elle a amené les citoyens à parler, la communauté internationale à prêter attention à ce sujet, et par conséquent, elle a conduit le gouvernement à bien se comporter et à mettre de l’ordre dans la maison », dit-elle.

Mais Patience Akuna craint que l’annulation de la loi puisse avoir aussi des effets néfastes. « Le plus grand risque ? C’est que d’autres questions de droits de l’homme soient ignorées et que l’Ouganda retombe dans l’oubli. Le fait que le projet de loi contre l’homosexualité ait été annulé constituera-t-il un mirage pour le reste du monde ? »

Le feu anti-gay brûle encore

Le président ougandais Yoweri Museveni

Le président ougandais Yoweri Museveni

Il apparaît aussi que tout n’a pas été dit sur la loi anti-gay. Une tribune écrite par le président Museveni, publiée au début du mois dans The Observer, dans laquelle il résume la question de l’homosexualité à un vieux dicton : « Nous voulons tuer le serpent mais sans briser le pot. » Le président a également expliqué qu’il souhaitait protéger les enfants ougandais contre les homosexuels mais qu’il craignait un possible préjudice financier.

« Que pensez-vous que Museveni dira, en 2021, s’il veut se représenter pour un septième mandat ? » – Patience Akuna

Peut-être s’agit-il d’un signe que le retrait de l’aide internationale a eu l’effet escompté : dans les mois qui ont suivi l’adoption du projet de loi, le gouvernement a été contraint de procéder à plusieurs hausses impopulaires d’impôts afin de compenser le manque à gagner.

Manipuler les masses

« Le thème de l’homosexualité est utilisé par les politiciens, non seulement comme un moyen de distraire les masses, mais également comme un bouc émissaire », dit Richard Lusimbo.« Même avant l’adoption de la loi par le Parlement, nous avons vu que, quand il y avait un débat sur la corruption, ils remettaient la loi sur la table. Idem avec l’argent du pétrole. La loi a cessé d’être un enjeu social. Il s’agit maintenant d’une chasse aux sorcières politique qui veut que soit vous êtes pour… soit vous perdez les élections. »

L’homosexualité est utilisée pour détourner l’attention d’autres problèmes plus graves qui plombent l’Ouganda.

« Au lieu que les politiciens expliquent pourquoi ils n’ont pas été en mesure de fournir des médicaments dans les hôpitaux, pourquoi ils n’ont pas été en mesure de construire de bonnes routes, ou pourquoi ils ne sont même pas rendus auprès de leurs électeurs, ils distraient le peuple en mettant en exergue l’homosexualité », affirme Richard Lusimbo. « Parce qu’ils savent que la société va sauter sur l’occasion et nul ne posera de questions sur la corruption ou ne cherchera pas à savoir où est passé l’argent. »

Patience Akuna, elle aussi, reconnaît que l’homosexualité peut être utilisée comme un outil politique pendant de longues années.

« Que pensez-vous que Museveni dira, en 2021, s’il veut se représenter pour un septième mandat ? », s’interroge-t-elle. « Il tirera la loi homophobe de son chapeau. Et il continuera à la brandir éternellement aux Ougandais. »

 

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