Amériques

Haïti : être un activiste trans au milieu de l’enfer des gangs à Port-au-Prince

Dominique Rebel Saint-Vil de l’association OTRAH (organisation trans d’Haïti) livre son témoignage quant à son exil au sein de son propre pays, en proie aux violences armées des gangs qui font régner leur loi dans un petit Etat qui n’a plus de président depuis plus de 2 ans et demi et qui n’a plus connu d’élections depuis le 20 novembre 2016. Les dernières élections pour renouveler la diète date même d’octobre 2015, dans un pays où le parlement n’est plus fonctionnel depuis le 13 janvier 2020.

Cité Soleil est un quartier populaire emblématique sous le contrôle des gangs à Port-au-Prince, la capitale haïtienne (ING: @helicohaiti)

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Dominique Rebel Saint-Vil : « En fait on survit. J’ai dû fuir mon propre domicile de la Croix des Bouquets et je vis actuellement dans les bureaux de mon association où j’ai trouvé refuge. C’est une crise, une catastrophe humanitaire silencieuse qui amène la ville de Port-au-Prince à se vider de ses forces vives économiques ainsi que de ses habitants, au profit d’autres régions du pays, encore épargnées, mais pour combien de temps ? (NDLR : Les Nations Unies parlent de 2400 de morts causés par les combats entre bandes armées et de 950 enlèvements entre janvier et septembre 2023).

Dominique Rebel Saint-Vil (leader d’OTRAH)

La situation est d’autant plus difficile que la frontière terrestre avec la République Dominicaine est fermée, ce qui fait que la population à de moins en moins d’échappatoire. Actuellement, l’on observe d’ailleurs que les flux de camions en provenance du pays voisin se sont taris, tandis que les petits marchés locaux de produits vivriers des petits agriculteurs haïtiens ont des étales de plus en plus vides. En cause, les difficultés de circulation au sein du pays à cause des gangs, ce qui engendre inévitablement un renchérissement des prix, en faisant le jeu des négociants mulâtres de produits importés.

Dans ce contexte, on évite les déplacements, car en juillet dernier, une personne de la communauté LGBT+ a été brièvement kidnappée. Des personnes avec qui nous travaillons ont pu un temps trouvé un refuge dans nos locaux, mais on ne peut nourrir indéfiniment 7 à 9 bouches 3 fois par jour sur le long terme. On n’a pas le budget pour ça. Comme tout le monde, les personnes LGBT+ cherchent à se relocaliser ailleurs dans le pays ou dans d’autres quartiers, au gré de leurs cercles d’interconnaissance au sein de la communauté.

En termes d’activisme, on peut encore faire des activités en ligne tant qu’internet fonctionne. Mais j’ai perdu foi en l’avenir de mon propre pays. Il y a encore quelques années j’étais optimiste, mais à présent pour moi il n’y a plus de futur en Haïti. Si j’en avais la possibilité, j’aurais déjà quitté le pays pour d’autres cieux ».

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Dominique Rebel Saint-Vil : « Depuis l’époque de la dictature duvaliériste, il y a une accointance entre les bandits et le pouvoir politique. Avant ça, c’était davantage encadré par le pouvoir en place, tandis que maintenant, ce sont les gangs qui ont été armés avec la complaisance des politiciens qui font leur propre loi. Quelque part, le décès de feu Jovenel Moïse, l’ancien président, illustre cela.

Haïti a déjà connu des interventions onusiennes par le passé, mais le pays ne s’est pas relevé et cette intervention ne me laisse pas plus optimiste que les précédentes avec la classe politique que l’on a. S’il y a le chaos à Port-au-Prince, c’est parce que certaines personnes y trouvent un intérêt et que certaines personnes arment des factions criminelles. Haïti ne produit pas d’armes à feu.

J’observe que lorsque les mulâtres ont besoin de faire passer leurs camions dans les carrefours stratégiques contrôlés aux mains des gangs, personne n’interrompt le trafic routier et il n’y a pas de déprédation. Donc il y a bien des gens qui payent les bandits pour continuer à faire tourner leurs commerces. De toute façon toute l’économie du pays est aux mains d’une minorité de familles mulâtres sans lesquelles rien ne peut se faire, en dépit de plusieurs années de dictature noiriste, à l’époque de François Duvalier.

Quant au pouvoir politique, depuis la mort de Jovenel Moïse en 2021, ils n’ont rien fait, si ce n’est vider les caisses du pays comme les élites corrompues précédentes. Maintenant, il est question de transmettre le pouvoir à des autorités de transition en 2024, pour pouvoir succéder à l’autorité de transition dirigée actuellement par le premier ministre Ariel Henry… Ca n’a strictement aucun sens. On est dans un processus démocratique entravé, avec une classe politique opaque. Mais je préfère parler d’une « passation de pillage » plutôt que de parler d’une passation de pouvoir.

En tant qu’haïtien, je n’attend rien du tout de l’année 2024 comme la plupart de mes compatriotes ».

2 réflexions sur “Haïti : être un activiste trans au milieu de l’enfer des gangs à Port-au-Prince

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