
Logo de Shams
Shams, l’association tunisienne pour la dépénalisation de l’homosexualité, nous annonce sur sa page Facebook que:
Le procès de Shams a été renvoyé à l’audience du 26 janvier pour répliquer aux conclusions déposées par le chef du contentieux de l’État.
Shams avait reçu un avis le 4 janvier ordonnant la suspension de ses activités pour 30 jours. Le 9 janvier, Shams annoncait sur Facebook « qu’elle continuera ses activités normalement, vu que l’opposition qu’elle a formulé devant la justice sursoie à l’exécution de la décision de suspension » .
Hier, Shams publiait ce commentaire détaillé:

La demande de Shams à ses amis sur Facebook: « Cher fans de Shams, changez vos photos de profils par le logo de la compagne pour la libération des 6 étudiants du foyer de Rakkada. »
Le ton se durcit autour des droits des minorités sexuelles en Tunisie. L’année 2016 commence aussi sombrement qu’a fini 2015. Le 4 janvier 2016, Shams, association pour la dépénalisation de l’homosexualité, s’est vu notifier une suspension de ses activités pour 30 jours. Un appel contre la décision a été déposé et Bayram Tounsi (ce n’est pas son vrai nom), l’un des membres fondateurs, compte bien se battre jusqu’au bout, lui qui ne veut pas fermer l’association.
« Je suis déçu car cette décision que vient de prendre l’État, qui est censé protéger les libertés individuelles et la liberté d’association », déclare-t-il. De son côté Badr Baabou, président de Damj, association tunisienne pour la justice et l’égalité, se dit lui aussi préoccupé par cette atteinte à la liberté d’association et d’expression : « La situation est très inquiétante, on pensait avancer, ce n’est pas le cas. »
En Tunisie, l’homosexualité est un crime passible de 3 ans de prison, selon l’article 230 du Code pénal. Cet article va à l’encontre de la Constitution, selon laquelle le respect de la vie privée et l’égalité des citoyens devant la loi sont garantis, tout comme l’intégrité physique et la dignité humaine. Or, pour étayer la suspicion d’homosexualité, un test anal est pratiqué, même s’il est considéré par l’ONU comme un acte de torture. L’article 230 du code pénal est donc inconstitutionnel et liberticide et les organisations de la société civile tentent de le faire abroger.
La suspension d’activité de l’association Shams alarme dans l’univers de la défense des droits LGBT, car elle est le résultat d’un long travail de sape à l’encontre de cette toute jeune association. Shams a reçu une autorisation d’activité en mai 2015, alors qu’une campagne de lutte contre l’homophobie avait lieu en Tunisie. Mais quelques jours à peine après son obtention, le mufti de la République prenait position publiquement, en jugeant l’homosexualité comme une « déviance aux valeurs, à l’éthique et à la nature humaine ». À la fin du mois de novembre, c’est un député du parti Ennadha Abdellatif Mekki, ancien ministre de la santé, qui avait déclaré, au sein de l’Assemblée, que l’autorisation donnée à cette association était « dangereuse pour la paix sociale ».

Hedi Sahly, vice président de l’association Shams (Photo d’EtatsGenerauxLGBTI.fr)
Les membres de l’association ont alors commencé à être menacés. Hédi Sahly, vice-président craignant pour sa vie, a quitté le pays. Le jeune homme était déçu : « On était là pendant la révolution. Le 9 janvier 2011, nous avons brandi le drapeau LGBT dans les manifs. Mais rapidement, les choses ont changé. Nous nous sommes crus libres, mais ce n’est pas le cas. »
Pour Bayram Tounsi, les menaces sont la suite logique des propos tenus par les hommes politiques. « Il y a eu un discours qui disait que sous Ben Ali, en prison, les homosexuels servaient pour torturer les prisonniers politiques. Un discours qui incite à la haine et qui remet en cause l’autorisation de notre association, car l’homosexualité serait “une dépravation de la nature, qui impacte les valeurs” et donc que c’est pour cela que les terroristes s’en prennent au pays. »
Badr Baabou revient sur les années de militantisme et explique que ces menaces ne sont pas les premières : « Il y en a toujours eu : des insultes, des appels téléphoniques anonymes, de la violence dans la rue…, mais le fait que le Ministère de l’intérieur ne se mobilise pas inquiète. » En effet, il existe une obligation légale pour les autorités de défendre les membres des associations. Le fait que Shams soit suspendue peut être vu comme une manière pour l’État de se défaire de son devoir.
Cette attaque contre la liberté d’association intervient après une décision judiciaire contestée à l’encontre de jeunes étudiants. Le 10 décembre 2015, le tribunal de Kairouan, ville conservatrice de l’intérieur du pays, condamnait six étudiants à une peine de trois ans de prison et trois ans de bannissement de leur ville. Début janvier, ils ont été remis en liberté sous caution, en attendant le procès en appel qui doit avoir lieu le 25 février.

Appui à Marwan sur la page Facebook Mawjoudin We Exist.
Badr Baabou se disait inquiet de cette décision en double peine : « Si le jugement ne m’étonne pas, du fait du conservatisme de la ville et parce que des peines maximales de 3 ans ont déjà été prononcées dans le passé, ce qui me choque c’est cette mesure d’exil forcé. » Il y voyait une connotation religieuse qui le faisait s’interroger sur la réalité de l’État de droit.
Il a également craint un impact sur un autre procès en cours. Celui du jeune Marwan. À l’automne 2015, l’affaire de Marwan, un autre jeune étudiant, avait choqué l’opinion publique. Condamné à un an de prison ferme, en septembre, pour homosexualité, après avoir subi lui aussi un test anal, il avait bénéficié d’une mise en liberté provisoire avant que sa peine ne soit réduite en appel à 2 mois de prison et une amende de 300 dinars (environ 150 euros), le 17 décembre. Il écopait ainsi d’une sanction équivalente au temps qu’il avait déjà passé en détention et ne retournait pas en prison.
L’affaire avait fait grand bruit et une mobilisation internationale avait eu lieu, avec notamment une pétition réunissant plus de 82 000 signatures. Même si au départ, il avait été difficile de mobiliser les défenseurs des droits humains en Tunisie, qui « étaient dans un déni face à la pratique du test anal », se souvient Badr Baabou dont l’association a travaillé à médiatiser l’affaire.
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