Par Erin Royal Brokovitch

En 2014, le Cameroun a été classé par la Transparency International comme parmi les pires du monde en termes de corruption – le 136ème de 174 pays. (Photo de Bonaberi.com)
La perspective d’obtenir un pot de vin est une forte motivation pour la police et les procureurs camerounais dans leurs relations avec les hommes qui sont soupçonnés d’être homosexuels.
Cela a été démontré dans une récente affaire impliquant un étudiant universitaire de 21 ans, qu’on appellera C, qui a été attiré à un rendez-vous par un indicateur de police, arrêté, soumis à un examen anal, puis invité à payer un pot de vin en échange de sa libération.
Dans le processus, la police a agi comme si l’homosexualité est contre la loi au Cameroun, ce qui n’est pourtant pas le cas ! Seules les relations homosexuelles sont en effet interdites, pas le fait d’être attiré par les personnes du même sexe. Mais la police n’a jamais accusé C d’avoir des relations illégales de même sexe.
Les problèmes de C ont commencé en novembre après que la police a arrêté un autre jeune homme, A.H., âgé de 22 ans, qui, comme C, est un étudiant à l’Université de Yaoundé I. La police a saisi le téléphone d’A.H. et a commencé à utiliser ses contacts pour chercher des autre gens pour les piéger et les accuser de l’homosexualité. Le cas de l’A.H. a été décrit dans l’article publié dans ce blog « La police camerounaise accuse un jeune d’homosexualité.»
Le 17 novembre, A.H. tombait dans un piège qu’un correspondant de Facebook lui a tendu. Il était conduit au commissariat du 14ème arrondissement d’Ekounou et placé en garde à vue. Il était accusé de harcèlement sexuel.
À partir du 17 novembre, quand A.H. a été arrêté, jusqu’au 20 novembre, quand il a été libéré, le commissaire avait entrepris d’espionner la messagerie d’A.H et ses contacts pour faire tomber d’autres personnes.
Entre le 17 novembre et le 19, des proches d’A.H. révéleront plus tard, avoir reçu des appels bizarres de personnes qu’ils ne connaissaient pas et qui leur donnaient des rendez-vous insistants.
C’était celui qui tomba malheureusement dans le piège.
Il reçu le mardi 18 novembre l’appel de quelqu’un qui lui dit vouloir le rencontrer. La personne continua en lui envoyant de nombreux messages.
Finalement, C concéda à accepter de rencontrer cet ami mystérieux.
En fin d’après-midi, il se rendit donc au lieu du rendez-vous, dans le quartier où il vit, à Biyemassi. A plusieurs kilomètres du quartier Ekounou où se trouve le commissariat d’où dépendent les éléments qui allaient l’appréhender.
Il s’aperçut malheureusement à sa grande surprise que des policiers avaient garé un car devant lui et l’embarquèrent manu militari.
Toujours est-il qu’au commissariat, les policiers manipuleront C pour qu’il admette qu’il est homosexuel. Il raconte qu’on lui a demandé de reconnaître qu’il est homosexuel pour être libéré. Ce qu’il fit, naïvement.
Dès ce soir là, ils se retrouvent ainsi deux gardés à vue dans ce commissariat pour homosexualité. Le mercredi le 19 novembre, ils sont conduits au centre médical d’arrondissement de Nkomo où l’on leur fait subir des examens de la marge anale — un procédé inhumain et dégradant que la police camerounaise croit, à tort, peut déterminer si un homme est un homosexuel.
De retour au poste de police, A.H. et C étaient enchaînés au sol. Les policiers les accuseront d’être un couple. Pourtant, les pauvres jurent ne s’être jamais vu auparavant.
En clair, les examens de la marge anale et l’accusation d’être un couple sont des manœuvres dont usent le commissaire et ses éléments pour fomenter son stratagème de noircir le dossier de ces deux jeunes.
L’on apprend de Me. Michel Togué — qui est apparemment le seul avocat à Yaoundé qui défend des clients LGBTI — que le procureur auprès duquel il plaide depuis le 18 novembre aurait demandé au commissaire de lui transmettre le dossier et déferrer les détenus au parquet. Mais, le commissaire traînait à la faire.
Plutôt, entre temps, il tentait par tous les moyens de gagner du temps, de saturer le dossier, en ajoutant des motifs aggravants. Une manœuvre en fait classique au sein de la police camerounaise pour prolonger la garde à vue par tous les moyens, au calcul de soutirer de l’argent aux victimes ou à leurs familles.
Cependant, Humanity First, une association de plaidoyer pour les droits des LGBTI et de la lutte contre le VIH/sida, avait exhorté la famille d’A.H. de ne pas céder à la pression et de ne pas prêter le flanc à la stratégie d’extorsion de l’argent de la police.
À toutes les allusions que l’enquêteur et le commissaire font dans ce sens, la maman esquive. Et la vérité en fait c’est qu’elle n’a véritablement pas d’argent. Elle nous révèle d’ailleurs avoir dû payer la somme de 50.000 FCFA (environ US $ 90 ou 78 euros) pour obtenir la libération d’un neveu qui était détenu dans le même commissariat quelques mois plus tôt, mais pour des motifs différents.
Fatalement donc, le commissaire se résout à signer le déferrement d’A.H. et de C pour le parquet. Il est environ 11 heures du matin ce jeudi 20 novembre. Les deux jeunes y passent la journée.
Me. Togué, qui se rend chez le procureur du parquet d’Ekounou, n’obtient pas satisfaction et s’en réfère au procureur général au tribunal de grande instance.
C’est la panique qui grandit dans les esprits des familles. L’on assiste à une scène où des gardes du tribunal entament des négociations avec des membres de la famille de C.
Ils leur demande de mobiliser la somme de 150.000 FCFA (environ US $270 ou 233 euros) afin d’aller soudoyer le procureur pour que C soit libéré.
Heureusement, à la tombée de la nuit autour de 18 heures 45 minutes, A.H. et C sont libérés.
On ne saura jamais les coulisses de cette libération.
Mais l’on se rend compte, en échangeant avec la famille de C, du scandale derrière cette affaire.
En effet, le même indicateur de police qui avait piégé C avait également piégé A.H. Cet homme, identifié comme « Serge » dans l’article précédent à propos d’A.H., travaille avec la police pour trouver des jeunes victimes. Il fait semblant d’être gay pour qu’il puisse attirer les jeunes dans un piège de la police, dont ils ne peuvent s’échapper qu’en versant une grosse somme d’argent.
L’auteur de cet article est un militant pour les droits LGBTI au Cameroun qui écrit sous un pseudonyme.
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