A l’occasion de la venue en France, à Paris, de Davis Mac-Iyalla, Directeur exécutif d’Interfaith Diversity Network of West Africa (IDNOWA) et de Daniel, un militant intersexe, 76crimes a décidé de pouvoir les interviewer afin qu’il puisse donner leur regard quant au projet de loi LGBTphobe actuellement en cours au Ghana.

Source : https://twitter.com/samgeorgegh – 12 octobre 2021
Entretien réalisé le 11 octobre 2021 par Moïse MANOËL-FLORISSE
Davis, pourquoi êtes-vous en France ?
Je suis venu avec Daniel, un militant intersexe, à l’initiative de la délégation internationale de l’Inter-LGBT et avec le soutien de Solidarité Internationale LGBTQI (SIL), afin de pouvoir alerter l’opinion publique française quant aux violations des droits des personnes LGBTI, actuellement en recrudescence au Ghana.
Il s’agit pour nous d’impulser un élan de solidarité international par-delà les barrières linguistiques, face à un projet de loi controversé en cours d’examen, en ce moment même au parlement ghanéen, à Accra.
Il est question quand même de peine de prison allant jusqu’à 10 ans de réclusion criminelle, du simple fait de notre existence, parce que nous avons une orientation amoureuse différente de celle de la majorité ou parce que nous avons une identité de genre ne correspondant pas à celle à laquelle la société souhaite nous voir assigner.
Il y a un risque réel de voir l’existence des personnes LGBTI basculer définitivement dans l’illégalité si ce projet de loi venait à voir le jour, y compris sous une forme édulcorée.
Ce projet de loi dont on a vent depuis le mois de juillet, à pour nom, le « Proper Human Sexuality and Ghana Family Values 2021″*.
Il est porté par un député ghanéen du nom de Sam Georges. Il est affilié au National Democratic Congress, un parti politique de l’opposition.
Davis, quelle est la situation au Ghana, en ce moment ?
Au Ghana, l’homosexualité est déjà pénalisée de facto, car les rapports sexuels entre hommes où il y a un coït anal sont déjà passibles d’une peine de 3 ans de prison**. Le nouveau projet de loi présenté par Sam Georges prévoit d’aller encore plus loin en rendant illégale toute activité de plaidoyer ou d’intervention sociale en faveur des personnes LGBTI.
Ce regain de vigueur de l’homophobie est consécutif à l’ouverture d’un centre social LGBTI, le 31 janvier dernier, géré par l’organisation « LGBT+ Rights Ghana ». Malheureusement, l’inauguration a été brutalement dispersée par les autorités, car des leaders religieux menaçaient de mettre le feu au local. Depuis, leurs locaux ont été perquisitionnés et l’organisation a dû mettre la clef sous la porte.
Le 20 Mai, 3 jours après la journée mondiale de lutte contre contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie (IDAHOBIT), 21 défenseurs des droits humains ont été arrêtés dans la ville de Ho, dans le Sud-Est du Ghana. Leur seul tort était de suivre une formation visant à mieux recenser et à mieux signaler les cas d’abus commis à l’encontre des personnes LGBTI. Entre temps, ces gens ont été libérés***.
La pénalisation de la sodomie aidant, d’ordinaire, les personnes LGBTI au Ghana sont l’objet de racket et de manoeuvre d’extersion de la part de policiers véreux corrompus et mal payés. Mais depuis l’annonce du nouveau projet de loi présenté par Sam Georges, la situation s’est encore envenimée et les homophobes se sentent à présent autorisés s’en prendre directement physiquement aux personnes LGBTI. Quant aux leaders religieux, en grande majorité, ils adoubent le projet de loi, qu’il s’agisse des catholiques ou des méthodistes. Dans ce contexte, les personnes LGBTI font profil bas et les activités d’entraide et de prévention communautaires ont désormais cessé.
Davis, dans ce contexte, pourquoi y a t-il ce nouveau projet de loi controversé ?
Deux facteurs concourent au contexte actuel : une visibilité croissante thématiques LGBTI ces dernières années, y compris dans la culture populaire internationale (superman) et d’autre part nous avons au Ghana une opposition peu inspirée et prête à faire feu de tout bois pour faire parler d’elle. Ainsi, l’homosexualité sert de dérivatif politique et social facile à exploiter, tout en conférant une forte popularité et une importante exposition médiatique à peu de frais. C’est également un moyen de s’assurer l’appui des Eglises et de leurs fidèles.
Sur ce terreau vient se greffer l’action nocive des fondamentalistes chrétiens américains du World Congress of Families. Ils ont pour habitude de sponsoriser un agenda LGBTphobe international, notamment en Ouganda ou en Pologne. Au Ghana, leurs moyens financiers leur ont permis de faire de l’entrisme dans le débat public, en s’affranchissant des barrières politiques partisanes. Je le déplore.
Daniel, que dit ce projet de loi précisément ?
C’est un projet de loi dense et vaste dans le champ d’application comporte des régressions en termes de liberté, sans précédent.
Ce projet de loi prévoit de condamner à des peines d’emprisonnement comprises entre 5 et 10 ans de prison, tout chercheur qui s’intéresserait à des recherches ayant trait de près ou de loin aux thématiques LGBTI. Par exemple dans les dispositions prévues, des chercheurs ghanéens de renom tels que les Professeurs Amenga-Etego et Oduyoye seraient incarcérés.
Autre exemple, je suis une personne intersexe et avec ce nouveau projet de loi, s’il venait à être adopté, je me verrais dans l’obligation de subir une opération chirurgicale, afin de choisir mon sexe biologique, pour ne pas me retrouver en prison.
Concernant les thérapies de conversion, le projet de loi les encourage explicitement. Par exemple, si une lesbienne venait à accepter de subir ce type de pseudo-thérapie, elle serait libre. Dans le cas contraire il y aurait des dispositifs d’enfermement prévus.
Et la liste n’est pas exhaustive. Ce projet de loi est la porte ouverte aux pires abus.
Davis, que fait votre organisation (IDNOWA) sur le terrain pour venir en soutien aux personnes LGBTI ?
Je suis une personnalité publique au Ghana. Je bénéficie d’un titre royal traditionnel et je suis un pasteur oecuménique. Donc je peux dire que ma voix a du poids et je m’en sers à la télévision, ainsi que dans les media où j’écris des articles.
Ainsi, nous avons rédiger un memorandum à l’adresse du parlement ghanéen, concernant le projet de loi de monsieur Sam Georges et nous continuons à faire du plaidoyer sans relâche. Parfois, nous adressons aussi un droit de réponse à nos détracteurs****.
Heureusement, nous avons le soutien de la diaspora ghanéenne à travers le monde et des célébrités d’origine ghanéenne qui regardent ce qui se passe sur la terre de leurs parents, à l’instar d’Idriss Elba qui avait interpelé la présidence de la république, en compagnie de 66 autres co-signataires*****.
Si vous souhaitez prendre attache avec IDNOWA, vous pouvez joindre cette organisation par téléphone (+447948237399) ou par courriel : interfaithdiversitynowa@gmail.com .
* https://cdn.modernghana.com/files/722202192224-0h830n4ayt-lgbt-bill.pdf
** Section 104 de l’article 29 du code pénal de 1960
***** https://www.vogue.co.uk/news/article/ghana-supports-equality-letter