
Source : @facebook.com/nabonibo.albert
Un an après son coming-out et s’être attiré les foudres médiatiques dans son pays, Albert NABONIBO, avec recul et mesure, revient sur son expérience, alors que les commentateurs, sont peu avisés de la situation des personnes LGBT au Rwanda.
Propos recueillis au téléphone par Moïse MANOEL
Qui est tu ?
Je m’appelle Albert NABONIBO. Je suis rwandais, j’ai 35 ans et je suis gay. Je suis diplomé en finance et banque. A ce jour, j’ai cumulé 8 années d’expérience en tant que directeur des services financiers au sein d’une entreprise.
Pourquoi le coming-out, alors que tu vis en Afrique ?
J’ai décidé de faire mon coming-out en public, à visage découvert, car je vivais sous une chape de plomb, en restant dans le placard. De plus, j’avais la pression de ma famille et de mon entourage, afin que je fonde une famille, alors que je ne m’y sentais pas prêt. J’ai juste voulu vivre ma vie en mettant les choses au clair une bonne fois pour toute, en procédant à mon coming-out, sans avoir à me justifier sans cesse de mon célibat, alors que j’ai passé le cap de la trentaine.
En outre, j’ai toujours pour projet de me marier à mon compagnon que j’aime plus que tout. On est toujours ensemble et on garde le contact, bien qu’il vive loin, dans une autre région du pays.

Comment as-tu vécu les conséquences de ton coming-out, au niveau familial, au niveau du travail et à l’église ?
Déjà avant même mon coming-out, je faisais face à de l’homophobie.
Depuis, la situation a empiré et j’ai été traité de tous les noms d’oiseaux dans les medias et jeter en pâture sur les réseaux sociaux.
Je me suis fait aussi viré par mon ancien employeur, tant ma présence exposait à une perte de réputation. Néanmoins, maintenant, je dois faire ma vie et continuer à me battre.
Concernant ma famille, ça reste très mitigé et un an après, je préfère ne pas trop en parler.
Parle-nous de ta passion pour le chant ?
Avant mon coming-out, j’étais rattaché à une grande église pentecôtiste très connue depuis longtemps. C’est avec eux que je me suis fait connaître, grâce à 3 concerts et à 8 chansons qui ont fait rayonner mon talent.
Depuis mon comint-out, ma vie a changé et je ne suis plus invité dans cette assemblée. Donc j’ai été voir ailleurs, dans une autre église et j’ai trouvé mon public sur Youtube, afin d’élargir mon audience aux personnes réellement sensibles à mon talent.
Dans ma nouvelle vie, il ne m’est pas facile dorénavant de trouver des espaces pour chanter. On me rétorque à chaque fois, qu’un gay ne peut pas chanter pour Dieu. Mais je ne me laisse pas abattre et j’aimerais devenir un jour un chanteur professionnel.
Dans mon ancienne vie, j’étais bien parti sur cette lancée, mais mon coming-out et l’homophobie qui en a suivie, ont tout brisé et à présent, ma carrière et mes rêves de chanteur sont en stand-by.
Peux-tu nous parler de ta relation avec Dieu et avec les églises chrétiennes ?
Je pense que Dieu m’a fait comme je suis. Donc j’en remercie le Seigneur par sa grâce. Ma destinée est de suivre le sillon qui a été tracé pour moi avec les épreuves et les difficultés qui vont avec. Je suis reconnaissant à Dieu des dons dont il m’a pourvus, ainsi que de ma sexualité. Donc à présent, je me dois de chanter pour lui, nonobstant les mauvaises langues.
Quand j’ai fait mon coming-out, plus aucune église ne voulait de moi. Finalement, après quelques mois, une dame a pris attache avec moi et aujourd’hui, nous nous retrouvons le dimanche dans une assemblée très modeste. Les constructions ne sont pas encore terminées, mais au moins y trouve t-on un message inclusif, bien qu’il n’y ait pas d’allusions spécifiquement relatives aux personnes LGBT. Pour moi, c’est comme une nouvelle famille et c’est là-bas, où je me produis. Un jour notre église également sera grande et belle extérieurement. Nous y arriverons, même si en ce moment, elle n’est pas très fréquentée.
Comment te reconstruis-tu ?
Depuis mon coming out, j’ai redoublé d’ardeur et de conviction dans mon militantisme pro-LGBTQ+.
D’ailleurs, je coordonne les activités de la plate-forme nationale LGBTQ+, ISANGE (faites comme chez vous en kinyarwanda). Elle regroupe 18 organisations actives dans la lutte et la prévention contre les discriminations LGBTphobes. Nos missions sont diverses, elles vont du renforcement de capacités, au plaidoyer, en passant par la collecte de fonds. Souvent, mes missions m’amènent à quitter la capitale pour me rendre dans l’arrière-pays, afin d’y recenser les problèmatiques des personnes de la communauté. C’est une expérience professionnelle très riche et très polyvalente.
Au-delà de toi, peux-tu nous parler de la situation des personnes LGBT au Rwanda ?
Au Rwanda, les manifestations festives LGBT en public sont prohibées par le gouvernement, en arguant du risque de troubles à l’ordre public. C’est une façon d’exhorter nos communautés au silence, alors que dans le même temps, le gouvernement affirme qu’il n’y a pas de discriminations d’Etat ici. Vous savez, en réalité, il n’y a aucune loi pour protéger juridiquement les personnes LGBT au Rwanda et c’est cette gêne qui explique probablement qu’au niveau politique nous ne soyons mentionnés officiellement, nul part. Dans ce contexte, les homosexuels doivent vivre leur liberté dans la discrétion. C’est le fameux « don’t ask, don’t tell » qui prévaut dans mon pays et l’expérience de mon coming-out en est la preuve ultime.