
Une annonce de la conférence internationale à Montréal en août
Le corps militant des droits et politiques publiques des minorités sexuelles et de genres dans les pays francophones doivent surmonter de nombreux défis auxquels leur homologue des pays anglophones n’est pas confronté. Deux représentants de la nouvelle Coalition IGLF, en participant en août à la Conférence internationale sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres dans la Francophonie à Montréal, discutent ci-dessous sur l’importance de ce rassemblement et l’état de l’activisme LGBTI dans la Francophonie.
Par Dominique Menoga et Michaël Cousin

Ouverture de la conférence internationale par Denis Coderre, le maire de Montréal.
Le 18 août 2017, nous avons assisté à la conférence Égalité et légalité – conférence internationale sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres dans la francophonie — la première conférence francophone internationale sur les minorités sexuelles et de genres (MSG). Organisé à Montréal, cet événement aura permis à deux cents professionnels du monde académique, militant et étatique de se rencontrer, d’échanger et de relever les problèmes spécifiques que rencontrent les francophones.
Cette conférence a-t-elle son importance ?
Ce rassemblement pourrait paraître anodin et certains oseraient se demander la raison pour laquelle il faudrait féliciter son organisation. Pourtant, celles et ceux qui ont essayé d’agir sur la scène internationale comprennent rapidement à quel degré la langue française est inusitée, voire même rejetée dans les institutions inter-étatique et non gouvernementales.
Loin de nous l’envie de défendre une langue et l’imaginaire qu’elle véhicule à travers sa structure grammaticale et son lexique. Cependant, comme tout dialecte, une langue reste un outil à l’usage des être humains. Les Nations unies ont d’ailleurs six langues de travail (enfin, sont censées avoir…) dont le français. Relevons qu’aucune des six ne vient d’Afrique subsaharienne. Le français reste donc un instrument important pour les quelques 410 millions de francophones habitant ces terres.
Bien qu’on sache que la langue est l’élément central qui met en lien les êtres humains dans les relations internationales, la majorité des organisations gouvernementales, des groupes de travail (comme UNSOGI*, CSW_SOGI*, et SDG_SOGIESC*), des réseaux (comme la liste SOGI** ou le réseau Amsterdam**) et enfin toutes les conférences comme celles de l’ILGA ne se déroulent qu’en anglais, voire légèrement en espagnol et très subsidiairement en français. Ne parlons pas de l’arabe, du chinois et du russe. Un tel hégémonisme exclut une part importante de la population MSG francophone d’agir à l’international et de faire connaître ses problèmes.
Sur le plan financier, nous ne sommes pas mieux logés. La majorité des grands bailleurs de fonds sont anglophones (Arcus, Wellspring Advisors, International Trans fund, Astrae, Open Society, les programmes des États-Unis, de Suède, de la Norvège ou du Royaume des Pays-Bas, etc.). Pour les francophones cela implique qu’il faut savoir lire les appels, écrire des projets et les rapports d’activité et négocier des conventions en anglais. Sans compter que quand bien même on aurait fait l’effort, nous devons attendre que ces investisseurs incluent la Francophonie dans leur prochain plan d’action.

Michaël Cousin (le deuxième à partir de la gauche) et Dominique Menoga (le troisième) à la Conférence nationale sur les droits des personnes LGBTTIQA2S du 15 au 17 août 2017 à Montréal.
Nous ne pouvons pas non plus nous reposer sur les bailleurs francophones. À titre d’exemple, sur les 350 000 $CA qu’a coûté la conférence de Montréal, la Ville de Paris a fait un don de 5 000€, l’État français 0€. Le rôle important de la France et de la Belgique dans l’imposition d’une discipline sexuelle et d’une dichotomie du genre sous l’ère coloniale devraient pourtant les rendre bien plus enclines à réparer le passé !
Les organisations publiques et philanthropiques nous imposent aussi des critères inapplicables à nos associations tels qu’avoir plus de deux ou trois ans d’existence ou obtenir la capacité juridique (être enregistrée auprès de l’État). Le mécénat francophone est également inexistant. Enfin, Expertise France gère le fonds LGBTI d’une valeur d’un peu plus de 300 000€, mais le comité de pilotage ne s’est réunit qu’une fois ces deux dernières années.
Au niveau de la recherche, les chercheuses et chercheurs francophones communiquent très peu sur les résultats de leurs études sauf dans des revues hors de prix. Sans étonnement l’accès à la connaissance est réservé à une élite et à des privilégiés. Cette sectorisation nous est insupportable d’autant plus que les contribuables financent cette activité. Les relations entre le monde académique et le milieu militant sont aussi inexistantes. La recherche communautaire MSG se pratique seulement au Québec. En France, nous ne possédons aucun centre de recherche MSG. Les chercheurs sont disséminés dans des unités çà et là dans des laboratoires du genre, de l’égalité femmes-hommes.
Au regard de tous ces problèmes, une conférence francophone LGBTI révèle donc toute son importance. Des chercheurs, chercheuses, militantes ou militants, artistes, agents d’État, fonctionnaires onusiens ont pu, pendant l’espace d’une dizaine d’heures, se rencontrer.
Avez-vous des critiques sur cette conférence ?
Nous voudrions tout d’abord féliciter l’organisation de cet événement et les défis relevés. Il s’agit de la première conférence du genre et, comme toute nouveauté, on s’avance vers l’inconnu. Les thèmes des panels étaient très divers. On parlait de la place des femmes dans les luttes MSG, du rôle des organisations internationales non gouvernementales, de la sensibilisation aux MSG dans l’éducation des jeunes, du colonialisme et ses effets actuels et de bien d’autres sujets. Il y avait dix-huit panels en tout, sans compter les plénières, les zones d’affichages et les courts métrages.
Nous sommes malgré tout attristés de constater que nombre d’Africains, femmes, hommes et peut-être intersexes, n’ont pas pu y participer pour des raisons techniques. Nous savons de la part des organisateurs qu’une expérience a été acquise sur ces problèmes de visa, de gestion des bourses, de connexion avec les associations locales, etc. Nous espérons que ces connaissances seront partagées pour les prochains événements.

Marthe Djilo Kamga (Photo du Journal du Cameroun)
Comme souvent, certaines compositions de panels étaient inadéquates. Nous pensons à la session dédiée aux femmes en Afrique subsaharienne. Marthe Djilo Kamga, chargée de coordination pour le festival Massimadi, se retrouvait à discuter avec trois hommes. Son intervention était par ailleurs remarquable. Des associations de panélistes frisaient autrement le manque de respect. Nous pensons à notre panel où nous avions la Fondation Émergence alors qu’elle n’a aucune action internationale. Ce que cette organisation présentait était intéressant mais hors sujet par rapport au thème de notre panel.
La conférence se déroulait aussi sur une journée. Il nous était impossible de bénéficier d’une bonne partie du programme ou de prendre connaissance des personnes qu’on souhaitait rencontrer. Il manquait aussi des ateliers de travail pour découdre avec nos problèmes quotidiens. Enfin, aucun bailleur de fonds n’était venu, mis à part la DILCRAH****.
Pour terminer, nous avons eu aussi la sensation d’être un objet de communication pour le gouvernement canadien. Un petit déjeuner avait été organisé où on devait accueillir des ministres en les applaudissant jusqu’à ce qu’ils s’assoient à leur table. En respect avec nos conditions de vie et de travail, mais aussi nos sacrifices pour que nos luttes s’entendent, nous trouvons cette sensation d’assujettissement désagréable.
Qu’est-ce que cela a apporté à votre coalition ?
Pour nous, le moment était très important. La moitié de l’association était présente à Montréal. Nous avons pu nous rencontrer pour la première fois. Le projet IGLF date de la Conférence mondiale de l’ILGA à Stockholm en 2012. Il a connu plusieurs péripéties plus ou moins heureuses et a repris sérieusement depuis mars 2017. Certains activistes ont participé au projet de 2012 et d’autres sont nouveaux. Nous ne nous étions jamais vu en réel. C’était donc un très grand moment.
Nous avons pu également rencontrer des chercheuses et chercheurs, des organisations québécoises et francophones, notamment d’Afrique subsaharienne. Toutes ces entrevues sont essentielles pour le développement de notre réseau et assurer nos futurs services notamment en recherche communautaire et en plaidoyer.
En mars dernier, nous nous étions aussi fixé la date butoir du 18 août pour finaliser l’écriture de nos statuts définitifs et de notre projet associatif. Le calendrier a été respecté et nous avons organisé un atelier de travail pour relire ces statuts définitifs et peaufiner nos orientations stratégiques. Les résultats de nos discussions viennent d’être validés par les membres. Ces prochains mois, nous pourrons donc commencer la rédaction de nos premiers projets, des cahiers des charges et demander des fonds.
* UNSOGI — United Nations Sexual Orientation Gender Identity
* CSW_SOGI — Commission on the Status of Women / Sexual Orientation Gender Identity
* SDG_SOGIESC — Sustainable Development Goals / Sexual Orientation Gender Identity and Expression Sex Characteristics
** SOGI — la liste de distribution électronique SOGI (sogi-list@arc-international. net) des activistes LGBTI.
*** Amsterdam — Le réseau Amsterdam un groupe très informel d’associations nationales occidentales qui se coordonnent pour mener du plaidoyer sur leur gouvernement.
**** DILCRAH — La délégation française Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT, qui est sous l’autorité du Premier ministre.
Dominique Menoga est trésorier de la Coalition IGLF et secrétaire sur la bisexualité. Michaël Cousin est un représentant de l’union de la coalition.
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