Afrique subsaharienne

Prise en charge des victimes d’homophobie au Sénégal : « Tout ça pour ça ! »

Au Sénégal les années passent et à l’heure où le pays est à feu et à sang, entre partisans d’Ousmane Sonko et les forces de l’ordre, avec en toile de fond la présidentielle de 2024; Bocar Ba (pseudonyme) un défenseur des droits humains, nous relate un déficit persistant de prise en charge des personnes victimes d’homophobie. Pourtant le flot de victimes ne tarit pas.

Carte du Sénégal (crédits : Getty Images/iStockphoto)

Bocar Ba : « Je suis un défenseur des droits humains, j’ai même fait partie des membres fondateurs du Collectif Free qui un temps incarnait et symbolisait la lutte contre les LGBTphobies au Sénégal. Je m’en suis éloigné très tôt, car la notoriété naissante a fait tourner la tête du leader de cette organisation, dont la gestion était très opaque. C’est même un secret de polichinelle…

3 ans après, je dois dire que l’on est revenu à la case départ et qu’il y a une absence de prise en charge des personnes victimes d’homophobie sur place.

Plus exactement, les personnes LGBT+ qui font partie des populations-clés dans le cadre de la lutte contre le VIH bénéficient d’un dépistage et d’un suivi médical de la part des organisations de la société civile. En tant que médiateur en santé et travailleur social, je suis bien placé pour pouvoir l’observer.

Par contre, dès qu’il s’agit de venir en aide aux victimes d’homophobie, battus et blessés, il n’y a plus personne et cela me scandalise.

Pour affiner ma pensée, je constate que les personnes victimes d’homophobie sont comptabilisées à des fins statistiques, en tant que victimes de violences basées sur le genre (VBG). En effet, je ne peux le nier. D’ailleurs, le Sénégal transmet des données à jour auprès de l’Alliance Francophone des Acteurs de santé contre le VIH et les infections virales chroniques ou émergentes (AFRAVIH), en la matière.

Poster de l’AFRAVIH au Sénégal portant sur des dialogues concernant le VIH avec des chefs religieux (@cnlssenegal)

Cependant, dès que quelqu’un est mis à la porte et passé à tabac par sa famille et ses proches, là il n’y a plus personne. On ne fait que de se contenter de donner le change auprès des bailleurs internationaux, mais quand il faut être là pour apporter une aide vitale à des gens qui ont besoin de se faire hospitaliser et qui gardent des infirmités, il n’y a plus d’association, plus d’organisation qui réponde à l’appel.

On dirait que les organisations de la société civile et que les organisations de santé semblent fuir une cause encombrante. Pourtant ce besoin de venir en aide aux personnes victimes d’homophobie, quel que soit leur statut sérologique a déjà été identifié depuis longtemps, mais les actes ne suivent pas.

Aujourd’hui, si je fais part de mes inquiétudes dans cette tribune, c’est précisément pour pouvoir porter ce plaidoyer, afin que cette cause revienne tout en haut de l’agenda des organisations des droits humains. Et ce n’est pas parce la perspective d’une surpénalisation de l’homosexualité s’est dissipée, avec la prochaine incarcération d’Ousmane Sonko, que les violences vont cesser contre les personnes LGBT+.

L’absence de solution apportée aux personnes LGBT+ en butte à des violences dans mon pays me fait honte.

En plus, dans le contexte de violences généralisées que traverse le Sénégal avec plusieurs centaines de blessés et près de 23 morts entre les partisans de l’opposition et des civils armés et payés par le pouvoir, il est fort à penser que les violences contre les homosexuels passent en pertes et profits et soient plus invisibilisées que jamais, bien que la question de l’état de droit au Sénégal ne s’est jamais posée avec une telle acuité que maintenant.

Avant, on ne pouvait déjà pas parler sereinement des questions en lien avec les droits humains des minorités sexuelles et de genre, à présent, on peut même être l’objet de kidnappings et d’exécutions extra-judiciaires pour ses idées, avec des tortionnaires qui ne font même plus partie des forces de l’ordre, puisque la violence armée et planifiée à dessein est maintenant diffuse dans la population civile.

Malamine Sarr a été attaqué il y a 15 jours (@BocarBa)

Le pouvoir cherche ainsi à entretenir un écran de fumée au sens propre et un halo de confusion et de chaos dans le but de terroriser une population qui n’est pas d’accord avec l’instrumentalisation politique de la justice. Le régime de Macky Sall (président) cherche à faire déserter les rues et à maintenir les gens dans les chaumières en vue de faire extraire Ousmane Sonko de son domicile, avant de l’emmener dans une prison, probablement dans une cellule à l’isolement.

Mais pendant ce temps, le petit Malamine Sarr (pseudonyme) qui a eu le genou récemment estropié par sa famille et qui ne peut plus s’asseoir, souffre d’atroces douleurs, causées par l’homophobie. Son agression remonte au 23 mai.

Dernièrement, il s’est rendu en Gambie pour demander la protection du Haut Commissariat aux Refugiés (HCR), car sa famille religieuse vivant à Tivaouane est très influente. Cependant la prise en charge médicale sur place n’était pas adéquate et je l’ai même enjoint de revenir ici au Sénégal, où je m’occupe de lui sur mes deniers personnels, sachant que je ne peux pas l’héberger chez moi, en raison de mon voisinage.

Si une organisation digne de confiance est prête à pouvoir le prendre en charge, je suis prêt à communiquer toute information permettant de lui faciliter l’obtention d’une assistance médicale adaptée ».

Si vous souhaitez écrire à Bocar Ba, vous pouvez adresser un courriel à l’adresse suivante : infos@76crimes.com

Articles connexes :

Une réflexion sur “Prise en charge des victimes d’homophobie au Sénégal : « Tout ça pour ça ! »

  1. Pingback: Nathalie Yamb est-elle pour la dépénalisation de l’homosexualité en Afrique ? | 76 Crimes en français

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.