Afrique subsaharienne

Sénégal : « les mariages forcés de femmes lesbiennes ont la vie dure »

76crimes, en partenariat avec Daniel Itai du Washington Blade, est revenu vers Guadalupe Dansokho (pseudonyme) pour une troisième fois, afin de l’interroger sur les mariages forcés de femmes lesbiennes, dans son pays, le Sénégal. La version anglophone de l’article est consultable ici.

Daniel Itai : Quelle est l’ampleur de ces mariages forcés ?

Guadalupe Dansokho : Ce n’est pas chose rare, loin de là. Cela concernait même près de 10% des unions au Sénégal, en 2004*. Moi-même je l’ai vécu et subi. En général, cela intervient quand les parents découvrent l’homosexualité de leurs filles. On les marie dans l’espoir de changer leur orientation amoureuse et pour garantir une certaine respectabilité sociale de la famille. Les garçons connaissent et vivent aussi des mariages forcés, notamment quand ils sont gays. Néanmoins, la pression sociale me semble plus forte envers les jeunes filles lesbiennes.

Par exemple, on m’a obligé à me marier à l’âge de 23 ans à quelqu’un qui m’ignorait autant que je l’ignorais au début. Cela n’a pas duré et au bout de 2 mois, nous avons divorcé, en mars 2016. Ce jeune homme qu’on appellera Magatte a vite compris que je ne m’intéressais pas aux hommes et il a tôt fait de s’en plaindre auprès de mes parents, afin « qu’ils me soignent ».

Le reste n’a été que violences morales et pressions psychologiques de la part de mes proches, suite à l’échec de ce mariage. En 2019, j’ai enfin pu divorcer, civilement. Le pire dans mon histoire, c’est que ce projet de mariage avec Magatte était déjà « dans les cartons » depuis ma prime enfance, car souvent les arrangements entre familles ont lieu plusieurs années en amont. Chez les Peuls, ce sont nos traditions.

Daniel Itai : Quelle est la meilleure façon de résoudre ce problème ?

Guadalupe Dansokho : Il faudrait faire des mariages forcés une grande cause nationale, mais bien peu s’y risqueraient, en dépit du droit des jeunes filles à être informées. Aussi, il faut favoriser tout ce qui puisse permettre aux filles d’achever leur scolarité secondaire, car bien souvent les mariages sonnent le glas de l’école et le début d’une vie d’épouse, puis de mère, avec des grossesses précoces parfois compliquées. Les jeunes filles qui ne sont pas prêtent à assumer cette vie ne se sentent pas toujours bien, mais la pression sociale est là. Dernièrement, une de mes connaissances lesbienne a mis fin à ses jours afin d’échapper à cette vie.

Daniel Itai : Selon vous, comment les gouvernements et les organisations à but non lucratif contribuent-ils à mettre un terme au fléau que constituent ces mariages forcés ?

Guadalupe Dansokho : l’ONG américaine Tostan mène un travail de plaidoyer auprès des chefs de villages, afin de les sensibiliser à la question de l’âge des mariés. Des fois, ils jouent aussi un rôle de médiateur quand des jeunes filles les sollicitent en termes de conseils. Il faut savoir qu’au Sénégal, un mariage civil n’est autorisé qu’à partir de l’âge de 18 ans pour un homme et 16 ans pour une femme. Toutefois, les mariages coutumiers restent légion, car la tradition est tenace et tout le monde n’est pas toujours informé des lois, notamment en zone rurale.

*Enquête sénégalaise auprès des ménages, MEF, 2004

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