Afrique subsaharienne

Sénégal : Moindre homophobie mais pas moindre stigmate pour les lesbiennes

Alors que le débat fait rage et que la classe politique sénégalaise s’écharpe autour de l’homosexualité, après qu’Ousmane Sonko ait déclaré le 16 mai dernier que l’homosexualité était tolérée au Sénégal, 2 militantes lesbiennes ont accepté de témoigner de leur vécu et de leur ressenti de femmes, face à cette bouffée d’homophobie ambiante, à Dakar.

(Photo issue de la plateforme facebook )

Awa (pseudonyme) : « Je suis la présidente d’une association de femmes (NDLR : pour des raisons de sécurité le nom de l’organisation n’est pas dévoilée) à Dakar et je peux dire que dans le climat politique et social au Sénégal actuellement, les femmes lesbiennes bien qu’invisibilisées du débat public sont souvent exposées tout d’abord à des viols correctifs pendant leur jeune âge.

Bien souvent, quand une famille a la prescience que de jeunes filles sont lesbiennes, elles sont amenées de force à un marabout qui loin de leur prodiguer un enseignement religieux, les violera. Cela ne survient pas tout le temps, ni dans tous les contextes sociaux, mais dans les zones rurales du Sénégal, c’est loin d’être rare.

Ensuite, c’est tout un travail de reconstruction psychologique qu’il faille entreprendre, avec beaucoup d’écoute, de tact et de solidarité envers des jeunes femmes arrivées fragilisées et traumatisées à Dakar quand elles sont parvenues à s’extraire de leur environnement familial, après plusieurs années de mariages forcés. En ce sens, rien à changer, malgré les années qui passent ».

76crimes : « Comment expliquez-vous que l’homosexualité soit un débat national au Sénégal depuis plusieurs années a contrario des autres pays de la région ? »

Awa (pseudonyme) : « Bien que l’homosexualité soit déjà sévèrement réprimée au Sénégal (NDLR : les condamnations peuvent atteindre 5 ans de prison et de 1,5 million de francs CFA d’amendes soit 2500 euros), elle est l’objet d’un débat national, car il y a plusieurs années, il y a environ une décennie, l’ONG Jamra dont le porte-parole est Mame Mactar Gueye était pressentie pour poursuivre son travail en matière de prévention en santé communautaire, notamment sur les questions de violences basées sur le genre ou en matière de santé reproductive, en raison de ses relations avec les plus hautes autorités religieuses du pays et de sa vocation sociale à travers le pays.

Après avoir perdu des financements et été écarté par d’autres organisations de la société civile représentant davantage les publics concernés grâce à une approche plus laïque et inclusive, Gueye qui fait de la politique et s’oppose à présent frontalement à son ex-poulain Ousmane Sonko, a entretenu à dessein une aversion envers les groupes LGBT+, en remettant en cause régulièrement notre existence légale, à travers la question des récépissés administratifs délivrés par le ministère de l’intérieur, alors que l’homosexualité est interdite dans le pays ».

76crimes : « Existe t-il un peu de sororité entre associations de femmes au Sénégal, vis à vis des lesbiennes et quels sont vos axes de plaidoyer ? »

Guadalupe Diakhoumpa (pseudonyme) : « Les associations féministes ne s’intéressent pas aux lesbiennes au Sénégal, même si entre nous, on se reconnaît. Le mouvement féministe sénégalais n’est pas encore ouvert à nos doléances. On milite donc davantage avec les organisations de la sociétés civiles qui travaillent avec les publics d’hommes qui aiment les hommes, pour essayer d’exister et d’être visibles ».

Awa (pseudonyme) : « Comme nous menons quelques actions de soutien alimentaire et hygiénique en faveur des femmes lesbiennes détenues en raison de leur orientation sexuelle, notre priorité de plaidoyer est d’éviter une surpénalisation de l’homosexualité dans le pays d’ici l’automne, avec l’avènement probable nouvelle majorité à la chambre des députés (NDLR : Ousmane Sonko s’est engagé à durcir la criminalisation de l’homosexualité avec des peines pouvant atteindre jusqu’à 10 ans de prison et 7 600 euros d’amendes dans un pays où le salaire moyen était de 146 euros mensuels en 2017).

Ensuite, bien qu’il existe quelques bars où les lesbiennes aiment à se retrouver entre elles à Dakar, il nous manque un lieu de ressources à investir pour le bien-être psycho-social de la communauté. Et c’est là notre second axe de travail.

Enfin, si l’on dispose d’un tel lieu, il nous sera possible de réfléchir aux actions de formation à entreprendre en faveur de l’insertion professionnelle des femmes lesbiennes, car notre communauté souffre d’un faible taux de scolarisation, totalement préjudiciable à notre élévation sociale ou à toute perspective d’empowerment ».

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.