Dans une vidéo parue le 1er juin dernier, à l’occasion du mois des fiertés, Nathalie Yamb, activiste panafricaniste à l’aura internationale, a tenu à faire connaître son opinion quant aux droits des personnes LGBT+ en Afrique, alors que l’Ouganda votait un nouveau durcissement très controversé de sa législation à l’endroit des personnes homosexuelles et transgenres.
Pour 76crimes, Abdallah Timera (pseudonyme) qui est un défenseur des droits humains du Sénégal va nous décrypter cette vidéo.
76crimes : « Après une brève introduction, Nathalie commence sa vidéo ainsi : « pour moi l’Etat n’a pas à s’immiscer dans les choix sexuels ou maritaux d’adultes responsables et consentants. Vous voulez vous mougou (faire l’amour en nouchi) entre hommes, entre femmes, ou vous voulez prendre 18 femmes, c’est votre choix ». N’y voyez-vous pas un appel encourageant à la dépénalisation de l’homosexualité en Afrique ? »
Abdallah Timera sourit.
Abdallah Timera : « Cette phrase que vous citez est un peu tronquée si l’on n’en connait pas la suite : « par contre, je m’oppose vigoureusement et radicalement à toute tentative d’imposer aux populations des modes de vie et des législations qui ne reflètent ni les usages sociétaux majoritaires, ni les valeurs ou la culture des peuples concernés ».
J’ai une compréhension quelque peu différente de la vôtre des propos de Nathalie Yamb. Pour moi, elle semble dire que tant que les gens sont homophobes que les États africains n’ont rien à changer. Par contre, si les opinions publiques africaines étaient davantage partagées, elle enjoindrait peut-être les États à devoir prendre leur responsabilité. En tout état de cause, elle ne prend pas grand risque et ne semble pas presser d’embrasser l’intersectionnalité des luttes auprès des communautés LGBT+ locales, noires, africaines, puisque son panafricanisme ne semble pas inclure le Maghreb, également.
De facto, disons le, Nathalie Yamb est homophobe. En ne daignant pas se mettre du côté des minorités sexuelles et de genre opprimées, elle se met du côté de ceux qui les vouent au quotidien aux gémonies et à l’acrimonie, en les brimant. C’est ce qu’elle appelle « l’Afrique qui sait depuis des millénaires gérer ces dossiers et qui n’a pas attendu les Occidentaux pour cela ». Ce faisant, elle élude totalement les violations des droits humains par une pirouette intellectuelle et à l’aide d’une punchline. C’est caricatural.
A l’instar de nombre de panafricanistes, pour Nathalie Yamb, l’homosexualité est une question brûlante mais qui n’est pas prioritaire. Elle apparaît même comme une réminiscence d’un agenda occidental, alors que précisément le panafricanisme est un mouvement d’affirmation politique et populaire de rejet de l’Occident, tant du point de vue culturel, social ou économique. Nathalie Yamb semble laisser aux populations africaines le soin de réguler « le problème » de l’homosexualité, tandis que bouter la France hors du continent africain apparaît tout en haut de ses priorités ».
76crimes : « Est-ce que le panafricanisme en Afrique est homophobe ? »
Abdallah Timera : « Bien sûr. Après, j’imagine qu’il existe une tension entre les prises de positions politiques, dans la sphère publique et le fait que ces gens connaissent des personnes LGBT+ dans leur entourage. Il existe mille et une façon d’être panafricaniste et tout ce qui permet de pouvoir se démarquer de l’Occident est bon à prendre pour certains, hélas.
Au Sénégal, la candidature d’Ousmane Sonko à la présidentielle de février 2024 représente un débouché possible du panafricanisme politique dans mon pays, et il va sans dire que Sonko est profondément homophobe et favorable à une surpénalisation de l’homosexualité, en tant que musulman conservateur. Néanmoins, je pense qu’il y a un gouffre politiquement entre un Yoweri Museveni, le président ougandais et lui. On ne peut pas mettre tous les homophobes ni tous les panafricanistes dans le même panier.
De manière générale, le cheminement menant à l’acceptation des personnes LGBT+ est encore long en Afrique. Dans le domaine biomédical qui est le mien à Dakar, j’observe à quel point mon chef de service salafiste et son adjoint mouride fuient les débats dès qu’il s’agit de la question du VIH chez les publics LGBT+. Ils mettent en place des stratagèmes pour se porter absents quand il y a des réunions à ce sujet. Pourtant, je leur rappelle qu’il y a là des manquements éthiques et déontologiques très graves de leur part ».
Articles connexes :
- Prise en charge des victimes d’homophobie au Sénégal : « Tout ça pour ça ! » (10 juin 2023, 76crimesFR.com)
- Sénégal : Les homosexuels doivent-ils se réjouir du sort fait à Ousmane Sonko ? (5 juin 2023, 76crimesFR.com)
- « La Côte d’Ivoire est perçue à tort comme un pays sûr » (18 février 2023, 76crimesFR.com)
- Niger : le Niger s’apprête à pénaliser l’homosexualité et à rendre le « mariage gay » passible de la peine de mort (22 janvier 2023, 76crimesFR.com)
- Mali: le ministre de la justice propose une loi contre l’homosexualité (23 août 2022, 76crimesFR.com)
- Sénégal : le Parlement repousse un texte de loi visant à doubler les peines de prison pour les homosexuels (30 décembre 2021, 76crimesFR.com)

Pingback: Cameroun : l’ambassadeur français aux droits LGBT+ annule sa visite | 76 Crimes en français
Pingback: Panafricanisme: Fierté Afrique Francophone donne rendez-vous aux défenseurs des droits humains d’Afrique en novembre prochain | 76 Crimes en français
Pingback: L’appel de Babi ou le manifeste pour la décolonisation du plaidoyer contre les LGBTphobies en Afrique | 76 Crimes en français