Europe

La vie d’une drag-queen russe sous l’ère Poutine

Après avoir enduré des années d’homophobie de plus en plus dure, l’artiste russe Miss Tizzy envisage de s’installer en France. Dans une interview, elle décrit ce qu’est la vie des personnes LGBTIQ+ en Russie et ce qu’elle attend de son avenir en France.

Miss Tizzy (image extraite du compte Instagram @misstizy avec un seul « z »)

Il s’agit d’une version francophone de l’interview donnée par Miss Tizzy à Terrence Katchadourian (TK), de l’organisation Stop Homophobie :

TK : « Pouvez-vous vous présenter en expliquant comment vos vies privées, artistiques et militantes sont liées ?»

Miss Tizzy : « J’ai toujours été créative depuis ma prime enfance. Mais je n’ai jamais su exactement ce que je voulais faire. Lorsque je suis entré pour la première fois dans un club gay, j’ai découvert un nouveau monde, celui de la culture drag-queen. C’est grâce à mon obstination que je suis parvenu avec quelques collaborateurs, à pouvoir organiser l’un des plus grands drag-shows de Russie.

Outre le spectacle, ce projet s’attache à accroître la visibilité de la communauté queer et à lutter contre l’homophobie, le sexisme, le racisme, la répression ainsi que la violence.

Mes opinions ont beaucoup changé depuis que je fais partie de cette équipe. J’ai enfin pu ouvrir les yeux et voir le monde sous son vrai jour. Le drag-show est devenu un moyen pour moi de parler de ce qui se passe en mon for intérieur, mais aussi de ce qui se passe autour de moi.

Aujourd’hui, je considère même le drag-show comme le stade le plus élevé dans l’émancipation des cultures LGBTIQ+ ».

TK : « Comment en êtes-vous venue à créer Miss Tizzy et vos personnages de Monster Drag ?»

Miss Tizzy : « Miss Tizzy est apparue dans ma vie absolument par hasard. J’avais l’habitude de faire du « drag » classique, mais à cause des nombreux problèmes que j’ai rencontrés au club, j’ai été obligé d’arrêter mon activité artistique.

En fait, on m’a interdit de me produire sur scène sans vraiment m’en dire les raisons. En tout cas, j’ai fait face à des remarques vexatoires. Je cite : « Un téléspectateur russe ivre a besoin de quelque chose de simple et de compréhensible ».

Mais pour moi, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, a été la mort d’un de mes employés. J’ai alors jeté tous mes costumes à la poubelle et j’avais décidé que tout s’arrêterait là.

Cependant, peu après, on m’a proposé un projet appelé « Dragula » dans lequel, je me suis finalement retrouvé. C’est ainsi que le personnage de Tizzy est né, telle une revanche sur les injustices que j’avais traversées ».

« J’ai réveillé tous mes instincts animaux pour créer cette image », écrit Miss Tizzy en anglais sur Instagram

TK : « Quel est le message que vous voulez faire passer à travers vos performances artistiques ?»

Miss Tizzy : « À travers mon exemple, j’essaie de faire comprendre à chaque personne dans ce monde que rien n’est impossible.

Pendant longtemps, personne ne m’a accepté ou soutenu.

Pendant longtemps, je me suis sentie seule et non reconnue.

Mais grâce à mon travail acharné, à ma volonté et à mon rêve, j’ai pu obtenir ce que j’ai maintenant.

Mon message principal est que nous ne sommes forts que lorsque nous nous accrochons les uns aux autres : Le monde ne change que lorsque nous cessons de nous taire ».

TK : « Quelle est votre place aujourd’hui sur la scène artistique queer en Russie ?»

Miss Tizzy : « Je suis un artiste unique en son genre en Russie. On peut même dire que je suis la seule Drag Queen Monster à pouvoir se produire sur une grande scène.

Tizzy n’existe que depuis un an, mais il a déjà atteint le plus haut niveau qui soit ici ».

TK : « Pouvez-vous nous parler du projet « Gender Blender » ? Quel est son but ?»

Miss Tizzy : « Gender Blender est un projet qui sert à pouvoir visibiliser les injustices. Ainsi, outre l’émission, nous produisons une série de podcasts autour de sujets sociétaux tels que la négrophobie, par exemple.

Malheureusement, depuis 2022, la nouvelle loi russe contre « la propagande LGBT » auprès des adultes et des mineurs a restreint considérablement notre champ d’expression ».

TK : « Êtes-vous en sécurité aujourd’hui en Russie ? Êtes-vous menacé ? Votre sécurité est-elle en danger ?»

Miss Tizzy : « Depuis la promulgation de cette nouvelle loi, je n’ai pas encore été agressé, mais chaque jour, le risque existe, alors je suis très prudente. J’évite les tenues trop voyantes dans l’espace public et j’évite également les marques d’affection.

Ceci étant, l’absence d’agression ne signifie pas l’absence de problème et la Russie demeure un pays très homophobe. On peu dire que la loi a même désinhibé les personnes LGBTphobes et que l’Etat encourage cela, ainsi que cette évolution. Je n’ose même pas imaginer le futur et ce qu’il adviendra ici, car les gens ont peur et n’osent parler ».

TK : « Pouvez-vous décrire la situation des personnes lgbt+ aujourd’hui en Russie ? Connaissez-vous quelqu’un qui a été inquiété, menacé ou victime des autorités ?»

Deux images de « La Petite Sirène » : à gauche, l’actrice Halle Bailey, qui incarne le personnage dans le film d’action de Disney qui n’est pas encore sorti cette année ; à droite, l’apparence de la Petite Sirène dans le film d’animation de 1989. (Images provenant de People.com)

Miss Tizzy : « Les gens se plaignent à présent des contenus audiovisuels venant de l’étranger et où les personnages LGBTI seraient trop visibles, notamment sur NetFlix.

Dans un autre registre, des gens se plaignent que la petite sirène sera désormais interprétée sous les traits d’une jeune métisse.

Concernant l’homophobie, désormais les services d’escort-boy à destination de la clientèle masculine sont proscrits et les entreprises qui proposent ce type de service se voient exposées à de fortes amendes.

Aussi, depuis 10 ans existe une loi contre la propagande LGBT à destination des publics mineurs et de temps en temps, l’on a des échos de jeunes dénoncés par des voisins pour s’être réunis entre amis issus de la communauté, pour visionner un film ou tout autre support culturel identifié comme LGBT ».

TK : « Pourquoi voulez-vous venir vous installer en France plutôt que dans un autre pays ?»

Miss Tizzy : « Je veux m’installer en France parce que la démocratie et la liberté absolues règnent dans ce pays !

Je considère la France comme un pays très original, avec une histoire intéressante, une culture brillante et d’excellentes conditions climatiques. Paris est ville très belle et elle présente de nombreuses caractéristiques urbanistiques avec Saint-Pétersbourg, où je réside présentement.

Je veux vivre dans un pays libre où le respect des droits soit garanti. Donc pour moi, la France constitue vraiment la destination idéale. Je ne veux plus avoir peur d’être moi-même et je ne veux plus avoir peur de parler de ce que je pense, à l’avenir ».

TK : « Quels sont vos projets personnels et artistiques une fois que vous aurez quitté la Russie ?»

Miss Tizzy : « Après avoir déménagé en France, j’aimerais poursuivre dans l’industrie du drag-show. Cela fait maintenant 3 ans que je fais cela et c’est ma principale source de revenus. Qui plus est, cela procure un sens à ma vie. J’ai également plusieurs de mes amis vivant là-bas qui sont d’accord pour pouvoir m’aider à trouver une salle de spectacle.

Je suis sûr que c’est ainsi que je trouverai moyen de m’épanouir, car en Russie, il est risqué de pouvoir s’exprimer artistiquement, en toute liberté… Après, je suis ouverte à toute autre opportunité, y compris s’il s’agit de faire un travail ordinaire, dans les métiers des services tertiaires ».

TK : « Souhaitez-vous ajouter quelque chose de particulier ?»

Miss Tizzy : « Oui. Je voudrais peut-être ajouter quelque chose à tout ce qui précède. J’ai 22 ans et dans ma vie, j’ai déjà traversé un grand nombre d’épreuves. La guerre en Ukraine a débuté en 2014 quand j’avais encore l’âge de 13 ans et j’ai été exposé aux sons et aux retentissements des sirènes quand le conflit a commencé.

Etre drag-queen a été pour moi une première façon de fuir cette société dure, homophobe et militariste voulue par Vladimir Poutine, mais aujourd’hui, même ce qui me permet de m’évader de la réalité politique et sociale de mon pays m’est interdit, alors qu’il me faut vivre, une vie de liberté.

A présent, je n’ai plus qu’un seul désir, partir loin d’ici et faire peut-être de la France ma future maison, où je puisse me sentir enfin libre ».

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