Edmide de Femme en Action Contre la Stigmatisation et La Discrimination Sexuelle (FACSDIS), une association venant en aide aux femmes lesbiennes en Haïti depuis juillet 2010, parle des dangers qui planent sur les femmes homosexuelles dans son pays natal, alors que le 08 mars cette année, n’a même pas pu laisser place à la moindre festivité, à l’occasion de la journée internationale des femmes, en plein contexte de violences exponentielles dans la capitale, Port-au-Prince.

L’insécurité n’a pas reculé malgré l’implication de l’ONU
76crimes : « A Port-au-Prince, est-ce que la force de police dirigée par le Kenya a permis d’améliorer les conditions d’activités des organisations LGBT+ et en l’occurrence la tienne, alors qu’un chef de gang, Krisla, menaçait en août dernier les femmes lesbiennes des quartiers populaires ?»
Edmide Joseph : « Rien a changé, c’est même pire, à tel point que les vols internationaux opèrent désormais en majorité à partir de l’aéroport international Hugo Chavez du Cap-Haïtien dans le nord du pays. L’aéroport Toussaint-Louverture de la capitale fonctionne avec une activité très réduite, alors que jadis, il s’agissait de la principale porte d’entrée dans le pays.
Concernant FACSDIS, nos bureaux sont situés à Canapé-Vert et une brigade de police haïtienne aide à faire reculer les gangs qui n’ont pas encore pu investir ce quartier, un des rares qui ne soit pas sous leur contrôle.
Notre priorité désormais est d’assurer la sécurité des personnes qui aident à maintenir en activité le bureau et l’administration de l’association, quelques jours par semaine.
Les dernières nouvelles qui nous viennent d’Haïti avec l’attaque d’un campement de déplacées situé dans l’enceinte du lycée de jeunes filles de la rue Chavannes, en début de semaine, ne cessent de nous alarmer.
Aujourd’hui, nous songeons à relocaliser les activités de notre organisation ailleurs, dans le sud d’Haïti, vers Jacmel. Toutefois, les routes pour se rendre dans cette partie du pays ne sont pas sûrs ».
Le coup de massue du gel de l’aide américaine au développement
76crimes : « Quelles étaient les activités de FACSDIS quand la situation sécuritaire était moins dégradée ?«
Edmide : « On travaillait principalement à des activités de plaidoyer concernant les violences basées sur le genre, contrairement à de nombreuses organisations LGBT+ de l’île qui travaillent davantage avec les gays à la réduction de la prévalence du VIH/SIDA.
Le gel de l’aide américaine pour 90 jours décrétée par le président américain Donald Trump, ainsi que le démantèlement d’USAID, l’agence américaine de l’aide au développement à l’étranger, ont fait un grand mal au travail des organisations locales, alors que la situation sécuritaire et humanitaire est absolument critique pour la population, étant donné qu’il y a une situation de famine dans le pays, bien que cela ne fasse pas les grands titres de la presse mondiale.
Cette année pour la journée internationale des femmes, le 08 Mars, on n’a pu faire aucune activité, c’est un véritable crève-cœur et la situation est d’autant plus désespérée que l’on ne voit pas d’issue politique à la crise que traverse Haïti, tandis que les possibilités de fuir le pays sont de plus en plus restreintes depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Ce dernier a même décidé que la protection temporaire dont bénéficient les haïtiens sur le sol américain sera levée dès le mois d’août prochain, pour pouvoir accroître les chiffres d’expulsions d’illégaux aux États-Unis ».
Le micro-crédit un levier d’autonomie possible
76crimes : « Justement, vous-mêmes, vous vivez en Floride actuellement. Selon vous autre chose est-il possible de mettre en place ? »
Edmide : « C’est une véritable épée de Damoclès avec laquelle doivent vivre les Haïtiens de Floride. Et si je me fais expulser du grand Miami, je reviendrai dans mon pays, mais pas dans la capitale.
Par ailleurs, les temps ont changé, les bailleurs de fonds des pays occidentaux sont sous pression politiquement et ils nous faut songer à mettre en place d’autre projets qui favorisent à la fois l’autonomie, le développement économique et sociale d’Haïti, ainsi que la bancarisation des publics précaires et discriminées. Et en ce sens, l’accès au micro-crédit des femmes lesbiennes et bisexuelles dont nous avions déjà discuté ensemble il y a quelques années est un levier qui semble intéressant, mais toujours actuellement sous-exploité.
Après 15 ans d’existence de FACSDIS, l’on se rend bien compte qu’il faut sortir des logiques de dépendance et que l’on ne peut pas toujours compter sur la communauté internationale, aussi bien pour la sécurité que pour les financements des organisations de femmes et singulièrement les femmes lesbiennes. En outre, le temps où l’immigration était une issue de secours pour Haïti a vécu. Le mur que construit la République Dominicaine voisine à sa frontière depuis février 2022 en est le symbole le plus criant ».
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