Amériques

La Dominique s’émancipe de l’homophobie à petit pas

Le 22 avril dernier la Haute Cour de l’Organisation des États de la Caraïbe Orientale située à Castries à Sainte-Lucie a jugé inconstitutionnels les articles 14 et 16 de la loi portant sur les infractions sexuelles à la Dominique, en regard de la Constitution de ce pays, datant de 1978.

Les juges ont notamment estimé et reconnu que ces lois qui condamnaient les relations entre personnes de même sexe à 10 ans de prison, portaient une atteinte manifeste aux droits à la vie privée, à la liberté et à la sécurité, ainsi qu’à la protection contre la discrimination.

Pour 76crimes, Daryl Phillip, le responsable du Minority Rights Dominica (MiRiDom) qui a appuyé ce contentieux en justice, a accepté de se livrer dans nos colonnes.

Logo du MiRiDom, association locale de défense des droits humains

Daryl Phillip : « La loi a changé en Dominique, mais il faudra encore du temps pour faire évoluer les mentalités, car avant et même maintenant, les gens s’autorisent à traiter les personnes LGBT comme des citoyens de seconde catégorie. Des personnes sans principe, de peu de valeur dans l’imaginaire populaire que l’on jette en pâture ou que l’on désigne à la vindicte publique. On le ressent dans la rue, au détour d’un commentaire, d’une remarque ou d’une petite pique lancée ici ou là. Il y a vraiment de l’animosité et c’est constamment entretenu par les Églises locales qui ont toutes fait front contre la dépénalisation de l’homosexualité.

Daryl Phillip

Cela se répercute au sein du fonctionnement des services publics et des administrations, puisque les personnes qui ont fait l’objet d’attaques LGBTphobes sont l’objet de dédain et de peu de considération avec de faibles chances de voir les agresseurs se faire punir. On est dans une culture de l’impunité qui ne pousse pas les personnes à faire savoir les violences qu’elles subissent. Et c’est un cercle vicieux, bien entendu. Au cours de la dernière décennie, j’ai déjà recensé 3 meurtres homophobes sur l’île, même si ces crimes ne sont pas toujours répertoriés comme tels, hélas.

On vit une véritable schizophrénie. Alors que les personnes LGBT+ sont partout, elles ne peuvent vivre leur amour au grand jour et l’on nous exhorte de rester au placard. C’est une situation très pesante exacerbée par la population réduite de l’île, à peine 70 000 habitants, ainsi que la pusillanimité du personnel politique local sur les sujets sociétaux.

Dans ce contexte, le changement des mentalités ne peut vraiment ne venir que de nous d’abord, or le militantisme dans les espaces insulaires des petites économies en voie de développement est un parcours extrêmement solitaire, où les soutiens se font rares et peu nombreux. Par exemple, on a essayé de développer une ligne d’écoute à la Dominique, en collaboration avec Caribbean Vulnerable Communities Coalition de la Jamaïque, mais cela n’a pas fonctionné. Néanmoins au diapason des autres communautés LGBT+ dans le monde, nous organisons une petite soirée chaque année autour de la journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, aux environs du 17 mai, où nous nous retrouvons. Ca permet de pallier l’absence de bar et d’espace de loisirs le reste de l’année ».

76crimes : « Qu’en est-il de la coopération intra-caribéenne ? »

Daryl Phillip : « Avec les Antilles françaises, dans le cadre de temps de partage et d’échanges autour de la lutte contre le VIH/SIDA avec l’association AIDES, j’ai eu l’opportunité de me rendre chez nos voisins de la Guadeloupe, mais ça remonte à il y a quelques années.

La Dominique est située au centre de l’arc des Petites Antilles, entre la Guadeloupe et la Martinique

Sinon la plupart des contacts que je noue se font dans le cadre du Cariflags qui est un forum d’organisations régionales d’essence essentiellement anglophones et avec lesquels nous partageons les mêmes préoccupations concernant la dépénalisation de l’homosexualité, au sein des anciennes colonies britanniques.

Nous voulons créer un ensemble de jurisprudences qui puissent aboutir à faire de la région un bassin de vie sans discrimination, en rendant les législations homophobes anticonstitutionnelles, faute de progrès politique au niveau des parlements nationaux. Et nous nous tenons généralement informés de ce que font les uns et les autres. Ces dernières années, les exemples du Bélize (2016), de Trinidad et Tobago (2018), de la Barbade (2022), puis d’Antigua et Barbuda (2022) et de Saint-Kitts et Nevis (2022) qui ont décriminalisé l’homosexualité, ont été des sources d’inspiration immenses pour nous ».

Cependant, nous devons garder le triomphe modeste, car la loi sur l’outrage aux bonnes mœurs en public qui n’a pas été abrogée peut servir à réprimer des formes d’expression de l’homosexualité dans l’espace social. En effet, le chemin à parcourir pour une Dominique plus juste est encore long ».

Brice Armien-Boudré qui co-préside Kap Caraïbe en Martinique ne dit pas autre chose: « A la Dominique, ils ont réussi à dépénaliser l’homosexualité et c’est un premier pas, toutefois ils leur restent à bâtir tout un écosystème juridique afin de protéger les personnes LGBT+ des discriminations, afin que les personnes concernées vivent pleinement en sécurité. Même en Martinique où nous avons le mariage pour tous ou la procréation médicalement assistée pour toutes, il reste encore beaucoup à faire en termes d’application réelle des droits sur le terrain ».

Dans un dernier souhait à l’adresse des guadeloupéens, des martiniquais et des guyanais de la communauté LGBT+, Daryl Phillip les enjoint à venir se rendre en masse à la Dominique, en encourageant le tourisme et le rapprochement culturel entre les territoires des Caraïbes : « J’aimerais que les ressortissants des Antilles françaises se rendent plus souvent sur notre île pour partager avec nous des moments tels que le carnaval. Toutefois, je voudrais ajouter qu’il faut qu’ils tiennent compte du contexte culturel, politique et social de notre pays, en montrant que l’on puisse vivre son homosexualité lors de ses vacances, le plus normalement possible, sans heurter la sensibilité de la majorité religieuse de la Dominique ».

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