Amériques

Kristen Moore : « Première femme transgenre à Sint-Maarten, je n’exclus pas de mener une carrière politique locale »

Être trans dans les Caraïbes aujourd’hui est plus facile que par le passé, la visibilité et la reconnaissance des personnes transgenres dans les pays du Nord aidant, ainsi que les avancées des législations locales dans les Caraïbes. A Saint-Martin qui est une île scindée entre un côté hollandais et un côté administré par la France, c’est principalement le droit européen qui s’applique à ces deux territoires contigus, avec quelques spécificités, notamment à Sint-Maarten (la partie hollandaise de l’île), puisque le mariage pour tous n’y est entré en vigueur que cette année. Ainsi, aujourd’hui, les personnes trans saint-martinoises jouissent des mêmes droits que leurs pairs d’Outre-Atlantique, sur le Vieux Continent, mais qu’en est-il en termes de mentalité et de vécu par les personnes concernées sur place. C’est précisément l’objet de notre rencontre avec Kristen Moore, une femme transgenre issue de Sint-Maarten qui a accepté de livrer son témoignage pour Safe 978.

Kristen Moore : « J’ai 37 ans, je suis née à Saint-Martin et je suis la première femme transgenre de l’île. Du coup, cela me vaut une petite notoriété. Qui plus est, j’ai une chaîne sur YouTube et j’ai également une page sur Instagram où j’ai des followers qui suivent mon actualité. Dans la vie de tous les jours, je suis une entrepreneure et je suis aussi une esthéticienne à mon compte.

(@Kristen Moore)

En ce qui concerne ma transition, avec le recul, ça a été assez rapide, puisque je suis sortie du placard à 15 ans en 2001 et j’ai suivi une hormonothérapie depuis mes 18 ans, en 2004, aux Pays-Bas. Enfin, j’ai fait une chirurgie complète de réassignation de genre à l’âge de 23 ans en 2009.

Cependant, mon parcours n’a pas été de tout repos, car à l’époque, l’homophobie était énorme. C’était horrible, dangereux même et parfois j’étais battue à l’école par mes camarades, mais néanmoins, je ne me suis jamais laissée abattre. En réalité, je vis ma vie et j’essaie de faire abstraction du regard des autres, en refusant de donner prise à de la négativité.

Plus de 20 ans en arrière au début des années 2000, ici à Sint-Maarten, il n’y avait pas de communauté trans et d’ailleurs, les gens ne savaient pas même pas ce que c’était. La plupart du temps, j’étais perçue comme drag-queen ou gay et pour mes proches, ma visibilité était un véritable embarras. Aux yeux de tous, je passais pour une « drama-queen », rien de moins.

A un moment donné, la situation était si difficile qu’au lycée, le chef d’établissement voulait même m’exclure, parce que je ne voulais pas renoncer à être la femme que je suis en termes d’identité de genre. Finalement, j’ai été aux Pays-Bas pour pouvoir finir ma scolarité secondaire. Et c’est vraiment là-bas que j’ai reçu un soutien psychologique et émotionnel pour m’accompagner dans ma transition, car à l’époque à Saint-Martin, il n’y avait vraiment aucune ressource pour aborder ce type de sujet.

Ce n’est qu’après quelques années que je suis revenue à Sint-Maarten, mais en tant que femme cette fois-ci et j’étais très excitée à l’idée de pouvoir montrer à ma famille la personne que j’étais devenue. Et c’est avec une robe très voyante que je me suis étreinte dans les bras de ma mère qui ne m’a même pas reconnu à l’aéroport. Quant à mon père, fort compréhensif à ma grande surprise, il m’a demandé de toujours pouvoir rester la meilleure version de moi-même quoiqu’il advienne dans la vie.

Ensuite, c’est avec le soutien de ma famille que j’ai pu acquérir la confiance nécessaire pour devenir l’entrepreneure que je suis devenue, en tant qu’esthéticienne. Et maintenant, les gens me respectent. Mon parcours a aussi inspiré d’autres personnes et les personnes trans ne craignent plus de se montrer dans l’île ou nous sommes entre 6 et 8.

Entre temps, des organisations LGBT+ se sont créées sur place, telles que Safe 978, tandis que les lieux de loisirs pour les personnes LGBT+ viennent encore un peu à manquer. De mon côté, c’est vraiment durant la période du carnaval que j’ai l’occasion de m’amuser et de m’affirmer plus encore. Ainsi, en tant que « Queen of the Band », j’ai été la première femme trans à mener une troupe de carnaval dans les Caraïbes. J’évite de me donner des limites, car je me dis que nous sommes là pour rester durablement dans le paysage social de l’île, dont nous marquons de notre empreinte la culture ».

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Kristen Moore : « Je suis une femme divorcée et à 37 ans, j’aimerais pouvoir fonder une famille et d’ailleurs, j’en rêve. J’aimerais être la maman de deux enfants, mais c’est compliqué en regard des préjugés et des amalgames sur les personnes trans qui adoptent des enfants. Ca reste possible sur le papier, mais dans la réalité, c’est comme un chemin de croix.

Par contre, en ce qui concerne la vie politique, je n’exclus pas un jour de candidater au poste de premier ministre de Sint-Maarten, qui sait… Peut-être qu’à moyen ou long terme, je vais mener une carrière politique locale, même si pour l’heure, ce n’est pas ce que j’envisage dans l’immédiat, en termes de priorité ».

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