Amériques

Haïti : un nouveau revers pour les droits LGBT+ dans les Caraïbes

Au milieu d’une interminable crise politique sociale sécuritaire, humanitaire et économique que connait Haïti dont la moitié de la population souffre de malnutrition aigüe selon l’organisation des Nations-Unies pour l’alimentaiton et l’agriculture; la très conservatrice communauté évangélique Shekinah de Miami animée par le pasteur Grégory Toussaint se félicite de l’adoption par la commission légale de certains amendements qui suppriment toute protection accordée aux personnes LGBT+ en cas de discrimination. Dans la foulée, une fois le principal obstacle levé, la refonte du nouveau code pénal haïtien a été actée.

Greg Toussaint au cours d’un sermon ressemblant à un meeting politique (Source : @Kozé Krétyen)

Un pays en souffrance

Depuis 5 ans, au fil des ans, ce dossier qui attire l’attention des fondamentalistes chrétiens autour de quelques propositions de dispositions de non-discrimination envers la communauté LGBT+, est devenu au fil des ans un véritable serpent de mer de la vie politique portoprincienne, dont l’épilogue est survenu le 24 juin dernier, avec une promulgation du nouveau code pénal en Conseil des Ministres, alors qu’initialement ce document aurait dû être ratifié auprès du prochain parlement élu.

Cependant, la dégradation continue de la sécurité a fini par faire éloigner toujours plus cette perspective, nonobstant la présence d’une force africaine de police déployée depuis le 25 juin 2024 à la demande des autorités haïtiennes, avec le soutien des nations caribéennes insulaires.

Pour rappel, les dernières élections générales en Haïti se sont tenues il y a 10 ans et il y a 4 ans, dans des conditions tragiques, l’ancien président Jovenel Moïse était l’objet d’un assassinat ciblé opéré par un commando colombien, sans que l’on ne connaisse les commanditaires à ce jour.

L’extrême-droite haïtienne se frotte les mains

Ainsi, tandis que la modernisation de la justice était un dossier en souffrance dans un pays dont la capitale est otage des gangs, voici que le projet du nouveau code pénal a connu un brusque coup d’accélérateur, aussi soudain qu’inattendu, si l’on en croit le télévangéliste Grégory Toussaint de l’Eglise des Tabernacles de la Gloire en Floride, alors que la majorité des lois prévoyant peines et condamnations sur l’île dataient encore de 1835, il y a peu.

Et si les années précédentes certaines dispositions examinées avaient fait l’objet de moult controverses; l’aile la plus religieuse de la diaspora saint-dominguoise semble avoir obtenu satisfaction concernant les contours retenus du principe de non-discrimination qui exclut dès-méshui de jure la communauté LGBT+.

En effet, les travaux précédents stipulaient à l’article 362 que « constitue une discrimination toute distinction opérée envers les personnes physiques ou morales « à raison … de leurs mœurs ou de leur orientation sexuelle… », avec des sanctions prévues à l’article 363 allant « de 1 à 3 ans de prison et de 50 000 à 75 000 gourdes amendes » [entre 350 et 523 euros].

Néanmoins aujourd’hui les même articles ne font plus référence à l’orientation sexuelle et c’est toute l’armature du code pénal qui a été expurgé de dispositions protégeant les communautés LGBT+.

Une communauté LGBT+ dépourvue de protection

Fritz Alphone Jean, l’actuel président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), annonce sur X l’entérinement du nouveau code pénal.

En outre, en matière de criminalité, l’orientation sexuelle de la victime n’est plus reconnue comme une circonstance aggravante, en cas de meurtre (article 248), de violences ayant entraînées une infirmité permanente (article 275), de violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours (article 278) et de viol (article 298).

D’aucuns y verrait une regression, mais de son côté Grégory Toussaint se fend d’une lettre de remerciement à destination des autorités haïtiennes, dans laquelle il évoque le maintien de la « liberté d’expression religieuse et des valeurs morales. »

L’héritage politique de Charlot Jeudy piétiné

Pour Guillaume Guy-Luly, un avocat, c’est au contraire tout le patient travail de plaidoyer de Charlot Jeudy des années 2010 qui a été completement « sabordé » [NDLR : Charlot Jeudy qui était le premier militant ouvertement gay en Haïti a été assassiné en novembre 2019].

Il dénonce également la passivité et l’atermoiement des organisations LGBT+ en Haïti « qui ne sont pas montés suffisamment au créneau en matière de lutte contre l’homophobie des années durant », préférant s’orienter « vers des programmes de lutte contre le VIH mieux abondés financièrement jusqu’en ce début d’année », selon ses propres mots.

« Ils ont délaissé le champ politique » au profit des réseaux d’influence de « Grégory Toussaint qui ne réside même pas en Haïti » et « qui jouit probablement de la nationalité américaine » déplore-t-il.

Vers un futur sans avenir ?

Enfin, d’un point de vue plus technique il énonce à ceux qui pensent que « l’homosexualité ou l’identité de genre seraient des moeurs, qu’il n’en est rien et que l’on peut choisir d’adopter ou de renoncer à des moeurs, des habitudes, mais qu’il ne peut en être de même pour l’orientation sexuelle ». En ce sens pour lui, les différents articles nouvellement adoptés ne sauraient entendre protéger les personnes gays lesbiennes et trans sous le vocable de « moeurs » ou d’une quelconque illusoire interprétation qui en découlerait.

A un an de la date butoir de remise des rapports alternatifs des organisations de la société civile quant au respect de l’état de droit et des libertés et à 18 mois du prochain examen périodique universel (EPU) d’Haïti qui surviendra en janvier 2027, lors de la 54e session du Conseil des droits de l’homme, Guy-Luly pessimiste constate que pléthore d’associations qui avaient vu le jour au cours des dernières années ont dû réduire la voilure ou fermer boutique : « en l’occurrence depuis le démantelement de USAID, l’agence américaine d’aide au développement ».

Annexes :

Nouvel article 362 :

Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race, une religion déterminée.

Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de l’apparence physique, du patronyme, de l’état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l’âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l’appartenance ou de la non- appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales.

Lettre de remerciement du Pasteur Grégory Toussaint aux autorités haïtiennes de transition, ci-dessous :

2 réflexions sur “Haïti : un nouveau revers pour les droits LGBT+ dans les Caraïbes

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