La troisième édition du KIFF (Kréyòl International Film Festival) qui s’est tenue à Saint-Ouen en septembre dernier a été l’occasion de découvrir les dernières productions cinématographiques des Antilles et de l’Océan Indien. Parmi les films sélectionnés par la martiniquaise Alexia de Saint-John’s, « Dream On » se situe à mi-chemin entre l’admiration envers un film auto-produit et malaise diffus d’un spectateur issu de la communauté LGBT+.
Pour Erasing 76crimes, on va tenter de décrypter cela pour répondre à la question de savoir si « Dream On » diffusé par Canal + est une oeuvre de fiction biphobe dans le cinéma français.

Pourquoi faut-il aller voir « Dream On »?
« Dream On » est un film qui parle de musique aux Antilles françaises. D’ailleurs, les deux auteurs-réalisateurs, Christopher Bordelais et Jordan Laurent, sont deux jeunes guadeloupéens plein d’entrain, à l’origine d’un des rares (il y en a eu 6 au total) long-métrages tournés en Guadeloupe, par des locaux au cours des 10 dernières années.
Aussi Bordelais est le compositeur de l’ensemble des chansons de son premier film et c’est encore lui qu’on entend chanter en créole à l’écran quand il interprète le personnage de Kane, le héros de cette fiction qui cherche à devenir une star internationale de la musique, à l’instar de ses aînés du groupe Kassav dans les années 80.
Contrairement à des chanteurs de dancehall aux textes sulfureux et lgbtphobes, tels qu’Admiral T ou Krys au tournant des années 2000, c’est à travers des sonorités pop-rock créoles que le personnage de Kane réussi à fédérer des publics du monde entier, au delà des seuls natifs des îles. L’histoire se situe volontairement dans la Guadeloupe d’aujourd’hui connectée au reste du monde à travers les réseaux sociaux.
Aimé, adulé c’est donc un héros rassembleur et non violent qui est donné à voir, bien loin de susciter colères et ires, à l’image d’un artiste dont Vincent Mac Doom dit jadis : « J’ai mis fin à la carrière de Krys ! » {NDLR: Vincent Mac Doom avait confronté Krys à une de ses chansons intitulée « Mac Doom Dead » à une heure de grande écoute à la télévision mettant ainsi fin à sa carrière musicale à l’échelle nationale]
Des choix esthétiques et de narration homophiles
Passé ce propos liminal, « Dream On » emmène les spectateurs dans un univers de musiques urbaines exclusivement masculin, à travers le trio de Kane, Tony et Steams qui sont les 3 principaux protagonistes, tandis que les femmes sont reléguées au rang de groupies, à l’exception de l’envoûteuse dont le rôle n’est qu’un clin d’oeil à l’univers magico-religieux antillais.
Et tout au long du film, on passe progressivement d’une amitié masculine, virile, lors des premières scènes qui se déroulent sur le lieu de travail des 3 jeunes hommes – un entrepôt – à une homophilie dès lors que Kane commence à percer dans la musique.
De la binarité entre le bon et le méchant entre Steams (l’acteur Stanley Durimel) et Tony qui accompagne toute la narration du film, découle une tension sexuelle avec le premier au détour de regards appuyés au clair de la lune sur les hauteurs de la ville, tandis que cette tension non moins latente avec le second, est gommée par le jeu de rôle de Jordan Laurent qui performe ici à l’écran une masculinité, faite de blagues viriles ou de remarques sur les femmes.
Pour le cinéphile averti, il est difficile de ne pas voir là quelques analogies avec Moonlight (clair de lune en français) de Barry Jenkins, 3 fois oscarisé en 2017, mais jamais distribué dans les salles de cinéma des Antilles-Guyane, en raison du refus d’exploiter commercialement un film traitant de l’homosexualité masculine noire.
Dans une île comme la Guadeloupe, où l’homophobie est complètement patrimonialisée, à travers le refus de la mairie des Abymes de débaptiser l’école primaire Christy Campbell (Admiral T), le choix esthétique homophile des deux réalisateurs fait ainsi montre d’audace. Aussi, peut-être est-ce une façon d’illustrer ce que Jordan Laurent qualifie « de part d’ombre de l’industrie musicale », sans préciser davantage sa pensée auprès des festivaliers du KIFF.
Ce que « Dream On » dit de la perception inconsciente de la bisexualité en Guadeloupe
Inévitablement, à défaut de faire de l’homosexualité un fil conducteur de la relation entre Kane, Steams et Tony, la bisexualité d’un des personnages, Tony, le manager de Kane, fait immaquablement immixion dans le synopsis, sans qu’elle y soit anecdotique.
Au contraire, les réalisateurs ont voulu s’appuyer sur cet aspect de la personnalité de Tony, premier personnage bisexuel du cinéma de fiction guadeloupéen – si l’on met de côté le long-métrage les Konxs tourné en région parisienne en format Digital Video en 2006 – pour créer une bascule dans le film, celle où l’homophilie s’estompe.
Et on peut encore interroger la façon dont est dépeinte cette bisexualité. Tony apparait comme un homme dissimulateur quant à ses attirances envers les hommes et par conséquent profondément menteur. Mis au pied du mur, confronté à ses écheveaux de mensonges, il se fait véhément, virulent, dangereux, menaçant.
Pis encore, il apparaît sous les traits d’un homme fourbe, perfide, vénal, ayant des troubles psychologiques et en proie à une addiction aux casinos, au point d’avoir totalement dilapidé la fortune de Kane dans des prestations sexuelles tarifées auprès d’escort-boys.
Finalement, licencié, sans argent et acculé, son orientation sexuelle étant découverte, Tony se décide à aller enlever la vie de Kane, dans un nouvel homicide par arme à feu qui vient endeuiller la Guadeloupe, dans une résonnance extrêmement sinistre avec le quotidien des habitants de l’archipel.
Symboliquement Vincent Mac Doom avait cloué Krys au pilori sur le plateau de Cauet en 2006, en faisant de lui un roi déchu de la musique urbaine antillaise. De son côté, « Drean On » offre à voir un épilogue où le synopsis prend fin dans une Guadeloupe enveloppée d’un manteau de tristesse, avec toute une nation insulaire qui pleure la perte de son enfant, de son chanteur et de son héros, par la faute d’un bisexuel irresponsable, criminel, ayant des problèmes de santé mentale.
Dans l’historicité cinématographique guadeloupéenne, pour l’éternité, le premier personnage de fiction bisexuel et l’unique à ce jour est et restera un meurtrier, un assassin d’une icone locale. Et dans la culture populaire, cela revient à graver ce type d’inconscient, à le nourrir, alors même que l’homophobie latente est très manifeste au niveau institutionnel en Guadeloupe, notamment au niveau du Comité du Tourisme des Îles de Guadeloupe.
Loin de moi l’idée de prêter une intention délibérée aux réalisateurs, d’autant plus que garantir la liberté de création artistique est indispensable dans une atmosphère qui puisse être dénuée de censure. Néanmoins d’un point de vue LGBT+ militant, les représentations et par-delà les inconscients qu’ils traduisent, parlent.