La prison est une jungle où règne la loi du plus fort. En tout cas, c’est la leçon qu’en tirent trois lesbiennes – Chrison, Amso et Keli (3 pseudomymes) – à leur dépens, au terme de leur détention au pénitencier d’Ebolowa, une ville du sud du Cameroun. Pour rappel, elles ne doivent leur incarcération qu’à leur orientation sexuelle et amoureuse.

Par Steeves Winner
Avant leur arrestation, les trois amies Chrison, Amso et Keli vivaient ensemble dans un appartement d’Ebolowa, tout en travaillant dans un snack-bar.
Pourtant, cette vie tranquille a pris fin lorsque les parents de Keli ont accusé Chrison et Amso d’avoir engrainé leur fille dans le lesbianisme. Mécontents, ils ont contacté la police qui les a arrêtées toutes trois le 12 décembre dernier à leur domicile.
Dans un pays où l’homosexualité est condamnée à 5 ans de prison ferme, les juges n’hésitent pas à prononcer des sanctions, même en l’absence de preuve. Le plus souvent, ils s’appuient sur le fondement de quelques suspicions, surtout si les accusées ont le malheur de vivre sous le même toit.
En d’autres circonstances, Keli 22 ans, Chrison 32 ans et Amso 28 ans auraient pu acheter leur liberté à la sortie du commissariat de police, si elles en avaient eu les moyens, mais en l’occurrence, ce n’était pas le cas et par conséquent, elles se sont vus condamnées solidairement à 4 mois de prison ferme.
Durant leur détention, les prisonnières amies ont été exposées à des brimades et à diverses vexations amenant à des situations de tensions et de confrontations avec d’autres femmes détenues : vols d’affaires de toilettes et de repas, rudoiements, insultes. Elles ont dû rester fortes pour surmonter cette épreuve.
« En tant que lesbiennes on éveille la méfiance et on nous suspecte de vouloir abuser d’autres femmes détenues. Quant aux gardiens, ils nous surveillent en permanence et nous punissent au moindre écart », affirme Chrison.
« Par exemple, un jour, on a refusé une corvée de nettoyage des cellules de prison, car on estimait que notre tour n’était pas venu de le faire. Normalement cette tâche aurait dû échoir à d’autres prisonnières, selon une rotation rondement prévue à l’avance. Néanmoins notre réponse n’a pas plu et durant les 10 jours suivants nous étions d’astreinte aux tâches de nettoyage et ce sans ménagement », ajoute t-elle.
Finalement leur peine de prison a été allégée grâce au « Projet Pas Seul » (Project Not Alone en anglais) qui leur a fourni des articles de toilette et des vivres. Ce projet, parrainé par Erasing 76crimes et l’association caritative St. Paul’s Foundation collecte des dons auprès des lecteurs pour les employer par la suite en faveur des prisonniers LGBT+ au Cameroun et au Nigéria – à la condition que le fondement de la condamnation ne soit que l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.
Depuis 2019, le « Projet Pas Seul » a déjà permis de nourrir et de libérer près de 43 prisonniers.
Leur peine de prison devait prendre fin le 14 mai, à la condition qu’elles puissent s’acquitter de leurs amendes et des frais de justice afférents. Plus exactement, ceux-ci s’élevaient à 157 300 FCFA (environ 250 dollars américains) pour le montant des amendes et à près de 36 700 FCFA (environ 60 dollars) de frais de justice pour chacune d’entre elles.
Cependant, elles n’avaient pas d’argent pour payer ces montants ce qui aurait dû impliquer qu’elles restent en détention pour 4 mois supplémentaires.
Par conséquent, le « Projet Pas Seul » leur est venu en aide et les dons récoltés auprès des lecteurs ont servi à payer un total de 582 100 FCFA (environ 930 $) pour la libération de Keli, Chrison et Amso.
Elles ont été toutes 3 libérées le 25 mai 2024.
Depuis, Keli est retournée vivre chez ses parents, tandis que Chrison et Amso ont été embauchées en tant que serveuses dans un snack-bar. Actuellement, elles ont pu reprendre le cours d’une vie à peu près normale.
Selon les trois filles, le « Projet Pas Seul » a eu un impact significatif pour mettre un terme à leurs difficultés, en tant que personnes LGBT+.
L’auteur de cet article, Steeves Winner, est un journaliste camerounais qui écrit sous un pseudonyme. Contactez-le à steeves.w@yahoo.com.
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