Xavi qui est une femme trans néerlandaise d’origine surinamaise et javanaise nous explique les raisons d’un parcours complexe qui l’a amené des Pays-Bas au Suriname à contre-courant des choix de nombre d’activistes et de militants qui préfèrent immigrer des pays du sud vers les pays du nord. Un choix difficile pour cette femme trans qui est devenue un personnage public sur les réseaux sociaux, mais qu’elle ne regretterait pour rien au monde.

Xavi K. : « Je suis une femme trans d’une trentaine d’année et je suis née au Suriname, mais je n’y suis guère restée longtemps puisque ensuite, je me suis envolée avec ma famille vers Bonaire, avant de passer la plus grande partie de ma jeunesse à Bijlmer, en périphérie d’Amsterdam, dans un quartier à forte concentration d’immigrés originaires du Suriname.
Adulte, j’ai fait le choix d’un retour dans le pays de mes parents en 2017, afin d’y sentir davantage d’acceptation de mon identité historique sociale et culturelle. Mes parents sont des surinamais d’origine javanaise.
En tant que femme trans, ma vie ici est un challenge, que je ne vivais pas aux Pays-Bas, mais néanmoins, je me sens davantage épanouie auprès des miens, en termes d’identité symbolique.
En tout cas, je suis revenu au Suriname, pour pouvoir trouver cet enracinement propice à ma kinésie.
Cependant, je dois avouer qu’ici, je suis devenue malgré moi un personnage public sur les réseaux sociaux, en raison de vidéos de moi me rendant aux toilettes pour femmes, avant de me disputer avec le vigile du Hermitage Mall, en 2021″.
76crimes : « Quelles ont été les réactions de la population ? »
Xavi K. : « Cela m’a valu énormément de moqueries et les gens me raillaient outrageusement dans la rue quand ils me voyaient, néanmoins, j’estime que je suis toujours restée en congruence avec moi-même et mon identité de genre, car je me sens femme et je suis une femme, en dépit de mon expression de genre.
Mon attitude courageuse et militante est nécessaire pour pouvoir éduquer mon peuple, car il faut que les gens cessent de préjuger l’identité de genre d’autrui sur la base d’une apparence ou du sexe de naissance.

Je sais que ce n’est pas évident pour beaucoup, mais petit à petit, à présent, j’ai droit à une certaine forme d’indifférence, de façade du moins ».
76crimes : « Pourquoi de façade ? »
Xavi K. : « On vit dans un monde transphobe et me fréquenter, me côtoyer, expose à une perte de réputation. Je m’en rends bien compte quand il s’agit d’amour ou de trouver un travail, voire même au sein de ma famille, comme si par les temps économiques difficiles au Suriname, j’avais encore besoin de cela.
D’ailleurs, c’est ce qui explique que par moment j’ai des accès de pensées suicidaires, quand j’ai l’impression que tout est bloqué pour moi.
Auparavant, je me rendais au marché javanais de Paramaribo, à Kwatta, où je travaillais à vendre et à écouler du thé et du café produit localement dans une coopérative agricole de l’arrière-pays, afin de valoriser une agriculture biologique et paysanne.
Hélas, si le directeur de la coopérative a accepté le challenge de me recruter, le fermier avec qui j’étais présente sur les étales était davantage réservé et pour lui ma présence au contact de la clientèle représentait un risque de perte de revenus issus des ventes. Alors encore une fois, j’ai été mise de côté, car la trans-ecologie ou l’inclusion des personnes trans dans le développement durable n’est pas une perspective qui ait encore fait souche ici ».
76crimes : « C’est à dire ? »
Xavi K. : « Je continue de faire partie d’AANEEN qui est cette coopérative de développement en faveur de l’emploi, de l’insertion et de l’inclusion économique et environnementale des jeunes issus des communautés défavorisées du Suriname, malgré ma toute dernière expérience infructueuse. J’y reste car j’y crois et je nourris beaucoup d’espoir pour cette approche du développement humain et social.
En parallèle, je suis membre du conseil d’administration de « New Monday » qui est une organisation de bienfaisance sociale à destination des communautés queers et trans, ici au Suriname, mais également aux Pays-Bas. On s’intéresse tant à des questions de santé sexuelle qu’à des questions de bien-être et d’épanouissement autour de la culture Ballroom.
Cependant, le chemin pour amener au changement des mentalités est encore long, y compris au sein des communautés LGBT+ où la transphobie est légion.
A l’échelle régionale, comme je parle anglais, bien qu’il ne s’agisse pas d’une langue officielle au Suriname, je bénéficie d’un certain accès à des ateliers de plaidoyer qui sont majoritairement orientés vers les publics anglophones. Aussi, j’observe souvent à regret un certain manque de connaissance et d’intérêt vis à vis du pays où je vis, car l’on n’est pas une ancienne colonie britannique et l’on n’est pas un pays membre du Commonwealth.
Enfin, concernant la dimension spirituelle, en tant que femme trans cultivant une préoccupation quant aux équilibres avec la nature, je suis animiste. A cet effet, pour moi le premier webinaire organisé par le Global Interfaith Network (GIN) dans les Caraïbes en octobre 2020 reste un souvenir inoubliable, bien que l’évènement dédié à la foi et à la spiritualité ait été particulièrement long et se soit tenu sur 2 jours. Toutefois à ce jour, selon mon expérience, c’est là où j’ai trouvé que la dimension pan-caraïbéenne était la plus aboutie, car on a pu entendre des gens d’Haïti et de territoires francophones qui ont d’habitude assez peu de visibilité au niveau régional ».

