Madagascar est une grande île de l’Océan Indien, située au large du continent africain dont elle est séparée de 400 kilomètres, par le Canal du Mozambique. Ancienne colonie française devenue indépendante en 1960, c’est une île originale qui se distingue de l’Afrique continentale par son peuplement métissé et son influence austronésienne. L’homosexualité et la transidentité n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque pénalisation dans l’histoire de ce pays longtemps resté largement animiste. Toutefois, le récent réveil des églises chrétiennes protestantes ravive le spectre de l’homophobie dans un pays où les communautés LGBTI+ sont peu visibles. Depuis peu organisées sous la dénomination de Queer Place Madagascar, elles ne veulent pas être l’objet d’une instrumentalisation opportuniste et électorale de la part d’une classe politique peu inspirée d’un pays en crise institutionnelle depuis plusieurs décennies. Pour 76crimes, Diamond (pseudonyme) a accepté de nous livrer une interview afin de nous introduire au contexte politique, social et culturel malgache dans lequel vivent les communautés LGBTI+ sur place.

Diamond : « J’ai rejoins Queer Place Madagascar avec une poignée d’ami.es, il y a 2 ans, au sortir de la pandémie de Covid-19, afin de venir en aide aux jeunes de la communauté LGBTI+ en questionnement ou en difficultés. Il s’agit de les écouter et de pouvoir leur apporter des conseils, tout en organisant des espaces de sociabilité et de convivialité, où nous pouvons nous retrouver entre nous, tel un cocon. C’est comme ça que le projet a démarré.

Le fait que Madagascar ne dispose pas de législation coercitive envers les personnes LGBTI+ contrairement à d’autres pays d’Afrique orientale, n’implique pas pour autant que nous ayons des lois qui nous protègent et d’ailleurs la majorité sexuelle n’est pas la même pour les homosexuels (21 ans) que pour les personnes hétérosexuelles (14 ans). Cependant nous évoluons dans un contexte légal qui nous permet d’organiser nos activités associatives à peu près comme on l’entend.
De l’extérieur, les observateurs ont assez peu d’échos des LGBTphobies qui se déroulent à Madagascar en raison de l’environnement juridique perçu de manière biaisée comme favorable. Pourtant, l’on aurait tort de penser que tout va bien et qu’il n’y a pas d’homophobie ici, bien au contraire. Seulement, comme il n’y avait pas d’organisation militante structurée autour de ce type de discrimination, la communauté internationale n’avait pas conscience des problèmes qui se posent ici pour les personnes LGBTI+, avec certaines églises notamment. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle il n’y a pas de mariage pour les personnes LGBTI+ dans l’île.
Actuellement, on assiste à une polarisation du débat politique malgache autour de la personnalité controversée du président de la république, Andry Rajoelina, qui reconnaît à demi-mot être devenu ressortissant français depuis 2014, ce qui le rend inéligible pour la magistrature suprême à Madagascar théoriquement, car en pratique lors des dernières élections de 2018, passant sous silence sa qualité de citoyen français, il a été élu président du pays de façon irrégulière, rétrospectivement. Madagascar ne reconnaît pas la double nationalité aux natifs originaires de l’île et par conséquent Andry Rajoelina est censé avoir perdu sa nationalité malgache depuis plusieurs années, néanmoins, rien a été entrepris pour l’empêcher de briguer à nouveau la présidence du pays, d’où le chaos politique et les appels au boycott de l’élection présidentielle par l’opposition. [NDRL : le scrutin s’est tenu le 17 novembre et les résultats seront connus d’ici quelques jours]
A notre niveau dans ce contexte d’incertitude, on se bat pour éviter une situation de désintéressement autour des questions LGBTI+ sur l’île. C’est la raison qui nous a amené à lancer une pétition sur la plateforme de All-Out, en réaction aux propos dénigrants du gouverneur de la région de Mahajanga, Moukhtar Salim Andriatomanga, qui est très actif sur les réseaux sociaux. Sur Facebook il s’était exprimé à la fin des festivités des fiertés LGBTI+, en début juillet 2023, pour faire savoir sa réprobation et le fait que les personnes LGBTI+ soient selon lui persona non grata dans sa région située sur la côte ouest du pays.
Actuellement, il y a bien une loi consacrée à internet et la cybercriminalité à Madagascar, mais il n’y a pas d’autorité de régulation des médias sur l’île et il n’y a pas d’institution en charge de pouvoir vérifier l’application de la loi, ni même de procédures définies pour les mettre en œuvre. En tant que jeune organisation active sur internet, où nous avons besoin d’être visible, il s’agit d’une motivation supplémentaire pour ne pas laisser le champ libre sur les réseaux sociaux aux personnes LGBTphobes, dans l’attente que nous ayons un jour un centre gay et lesbien (CGL) avec le soutien des autorités.
A terme, nous aimerions davantage investir la sphère sanitaire et sociale pour accompagner des victimes d’exclusion et mener une activité d’observatoire des violences et des discriminations LGBTphobes, au sein de la société malgache. Cela nous serait aussi utile pour pouvoir outiller notre plaidoyer à l’endroit des décideurs et des leaders d’opinion de notre pays et même au-delà ».
Si vous souhaitez entrer en contact avec à Queer Place Madagascar, c’est ici.

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